François Anthoine Saint Joseph
On ne pardonne pas à qui vous prend au piège ;
L’amour-propre blessé de tourments vous assiège,
On y rêve la nuit, on y revient le jour,
On ne forme qu’un vœu, celui d’avoir son tour.
Voyez maître Corbeau qui lâcha son fromage :
Plus il avait failli, plus il avait à cœur
D’attraper à son tour le dangereux flatteur
Qui si bien avait su lui vanter son ramage.
Or donc, un beau matin, dès la pointe du jour,
Le Corbeau vit venir des taillis d’alentour,
Le Renard soucieux, guettant quelque aventure.
Aussitôt il atteint la cime d’un ormeau
(Bien lui prit de percher si haut) !
De là, composant sa figure,
Il commence en ces mots : « Bonjour, cher compagnon ;
Jadis tu me donnas bien sévère leçon ;
J’y perdis, tu le sais, un excellent fromage;
Mais, ma foi, je ne m’en plains pas.
Je m’en pourvois sans gêne en la ferme là-bas,
D’où s’élève le caquetage
De poulettes et de chapons
Connus sur les marchés de tous nos environs,
Tant ils sont gras, tant ils sont bons. »
Le Renard, né friand, prête l’oreille, hésite ;
Mais; les chants l’attirant, il y court au plus vite,
Tourne autour de la ferme, y pénètre sans bruit…
Écoutez ce qui s’ensuivit :
Le Corbeau l’ayant fait s’engager de la sorte
Et sur ses traces s’élançant,
De sa voix rauque et forte Pousse un cri triomphant,
Éveille les valets, les chiens et la servante ;
Tout dans la ferme est sur pied, se tourmente;
La volaille s’en môle et fait retentir l’air
De bruits étourdissants : c’est à fendre la tête !
Maître Renard est découvert;
Chacun lui barre la retraite.
« Ami, dit le Corbeau, le plus fin est sans yeux
Quand sa passion le maîtrise :
Nous voilà, tour à tour, attrapés tous les deux,
Moi par la vanité, toi par la gourmandise. »
“La Vengeance du Corbeau”