Certain agneau. Loin du troupeau,
Paissait tranquillement au pied d’une colline;
Quand tout-à-coup
Il voit un loup
Sortir de forêt voisine.
Dans ce péril extrême, hélas! que devenir?
« S il m’attrape, dit-il, je ferai triste mine :
« Hâtons-nous donc de déguerpir. »
Mais à peine il commence à fuir,
Que l’animal glouton en ces mots le rassure :
« Viens à moi, ne crains rien, charmante créature !
« Si parfois mes pareils ont croqué les agneaux,
« Je les en ai blâmés très fort, je te le jure :
« N’ont-ils pas, dans les bois, assez de nourriture,
« Sans courir, comme ils font, après tous vos troupeaux ?»
Quelque peu rassuré , l’agneau vers lui s’avance;
Le loup, voyant l’effet de sa haute éloquence,
Pour mieux toucher son cœur, fait mille efforts nouveaux ;
L’agneau s’avance encor ; mais, à peu de distance,
Il aperçoit du sang : le barbare est blessé,
Il ne peut faire un pas, et, dans son impuissance,
Il voudrait s’applaudir de l’avoir terrassé.
Alors l’agneau lui dit : « De votre bienveillance
« Je vois trop maintenant le but intéressé,
« Pour oser plus avant pousser mon imprudence.
« Adieu, portez-vous mieux; je retourne à mon pré. »
Combien de gens ainsi voudraient qu’on leur sût gré
Du mal qu’ils ne peuvent nous faire !
On dit que chez les grands ce cas est ordinaire ;
Ce n’est pourtant pas là que je l’ai rencontré.
“L’Agneau et le Loup malade”