Un villageois s’en allant à la foire.
Pendant six jours mit paître son grison
Dans un herbage où croissait maint chardon.
Maître baudet, ainsi qu’on peut le croire.
Préférait cette chance à tout l’or dû Pérou.
On était convenu que sa part à la ronde
Embrasserait la longueur du licou.
Voilà notre gourmand le plus joyeux du monde.
Qui dans le pré s’enfonce jusqu’au cou,
Se vautre, en prend si bien son sou.
Que dès la fin du jour il n’a plus rien à paître.
Mais à peine sur l’horizon
Phébus vint-il à reparaître.
Qui fut penaud ? C’est le grison.
En vain avec ses yeux son appétit s’éveille ;
Il regarde et ne voit tout à l’entour de lui
Rien que le dégât de la veille ;
Pour surcroît de peine et d’ennui
Une maudite corde arrête la pécore.
Que faire désormais? Jeûner.
Hélas ! comment s’y résigner !
Comment pouvoir atteindre à la sixième aurore
Sans boire ni manger ? car l’âne se souvint
Qu’on avait fait su part pour toute la semaine.
Réflexion tardive ! aussi fut-elle vaine ;
Le glouton était mort quand son maître revint.
C’est vous, dissipateurs, que ma fable dépeint.
“L’Ane gourmand”