Alexandre Deplanck
Poète et fabuliste XIXº – L’Araignée
Dans maint récit de fabuliste,
L’abeille et la fourmi tiennent le premier rang ;
On pourrait imprimer tout une longue liste
Des honneurs sans pareils que la muse leur rend ;
Mais la fileuse résignée,
L’hôtesse des sombres maisons,
Est méconnue et dédaignée…
Elle est laide, elle est pauvre, excellentes raisons
Pour qu’on méprise l’araignée !
L’autre jour, j’en vis une à mon plafond noirci ;
Elle y tendait son filet de dentelle.
Je fis un mouvement — « Arrête ! cria-t-elle,
Ô mortel généreux ! je suis à ta merci.
Que sur mon sort ton intérêt prononce :
Je te délivrerai des moucherons impurs,
Si tu permets…. » — Ma canne apporta la réponse,
Et le filet brisé vola contre les murs.
Un quart-d’heure après, l’ouvrière
Au même endroit rajustait ses fuseaux.
De nouveau j’agitai la canne meurtrière
Pour mettre son œuvre en lambeaux.
Elle reprit cinq fois sa tâche courageuse !….
Alors moi, tout saisi d’un sentiment profond,
Je déposai mon arme… Et depuis, la fileuse
Peut, ainsi qu’il lui plaît, décorer mon plafond.
Vous avez bien compris l’apologue, je pense ?
L’être le plus infime est utile, après tout ;
Et de sots préjugés il sait venir à bout,
S’il comprend le pouvoir de la persévérance.
L’Araignée
Alexandre Deplanck, 1817-1864