Jean Baptiste François Ernest Chatelain
Le Bœuf avec le Singe un jour fit alliance ;
Ils devaient, tour-à-tour, aux termes du traité,
Labourer pour le bien de la communauté.
Comme ayant plus d’expérience
Le Boeuf offrit de traîner le premier
Le joug pesant, la herse, la charrue.
Le voilà donc à l’œuvre ; il va, revient, il sue
Tant… qu’il défriche un arpent tout entier.
Devant le Singe alors il se présente,
Voulant du joug être débarrassé.
Mais l’aigrefin : ” Je ne suis point pressé
De m’affubler d’armure si pesante,
Dit-il, d’ailleurs elle te va si bien,
Qu’en ami je prétends, dans ce bel équipage
Te laisser sans y changer rien,
Vaquer jusqu’ à la mort aux soins du labourage ! ”
Oyant ceci la dupe se fâcha ;
Mais l’autre loin d’en tenir compte
Sur son dos encor se hûcha.
Le fabliau que je raconte
Peut s’appliquer à maints gouvernements.
Le Bœuf c’est la gent plébéienne.
Le Singe le Sénat, et la race des Grands,
Chancre affamé qu’il faut qu’elle entretienne.
J’ajouterai tous les usurpateurs
De discours libéraux, très habiles faiseurs
Pour gagner un pouvoir que l’éclat environne ;
Mais qui, dès qu’ils ont mis la main sur la couronne
Tiennent pour extorqué l’octroi de leurs serments,
Et n’ont plus de volonté bonne
Que pour grossir à nos dépens
La liste des rois fainéants.
“Le Boeuf et le Singe”