Si vous fuyez les procureurs
Vous serez plus sage qu’Ulysse ;
Rappelez-vous que la Justice
Vend bien chèrement ses faveurs.
Un canard, à maigre cervelle,
Eut procès avec son voisin.
(La chose, hélas ! n’est pas nouvelle.)
C’était, je crois, pour un larcin
De grain ;
Les sages du quartier disaient :
Qu’allez-vous faire ?
Osez-vous plaider pour si peu ?
Chaque plaignant perd à ce jeu ;
Le mieux est d’arranger l’affaire.
— Pas d’arrangements entre nous,
Répond avec courroux
L’orgueilleux palmipède,
Je vais consulter de ce pas
Le plus adroit des avocats ;
Vous avez beau dire ; je plaide.
– Réfléchissez… – J’y cours. – Pourtant… – J’entends rien ;
Il faut que les lois criminelles
Fassent justice d’un vaurien ;
Avec votre indulgence on en verrait de belles !
Le canard, plein de ce projet,
Va consulter un perroquet
Que son caquet
Rendait célèbre au loin ; le rusé volatile
Avait manteau soyeux, œil calin, et surtout
(L’intérêt est si grand mobile !)
Griffe acérée et prête à tout.
Le client, bien reçu, débite son antienne :
Il compte sur la bonne foi
De messire l’homme de loi.
Le procès est-il bon ? faut-il qu’on le soutienne ?
Vaudrait-il pas mieux transiger
Que de follement s’engager
Dans une longue procédure ?
— Transiger ! dit le perroquet,
Vous n’avez pas de cœur ; après pareille injure,
Un oiseau de votre valeur
Tendrait la patte à ce voleur ?
Non, non ; plaidez, l’affaire est sûre ;
Je réponds d’un heureux succès,
Donnez-moi de l’argent, et dans une semaine
Vous aurez gagné ce procès.
Le canard, de retour au liquide domaine,
De cet heureux début fait la narration ;
La cane, par précaution,
A l’aqueux saint Médard* consacre une neuvaine.
On attend… on espère… et, quand vint le grand jour,
Le tribunal, plein d’indulgence,
Trouvant le méfait trop peu lourd,
Débouta le canard et leva l’audience.
Le plaideur eut voulu rattraper son argent ;
Mais un homme de loi prudent
Se fait toujours payer d’avance.
*Dit le saint-pluvieux, qui fait la pluie et le beau temps.
“Le Canard et le Perroquet”