Un énorme canon, à travers son sabord,
Avisant un taret qui du puissant navire
Travaillait à ronger le bord,
Ne put s’empêcher de sourire,
Et, gouaillant le petit animal :
« Par ma foi, lui dit-il, tu ne t’y prends pas mal,
Pour nous faire sombrer. Seulement je t’engage
A jouer encor mieux des dents,
Si tu veux que ce soit avant quatre mille ans.
Soit dit sans te blâmer, je craindrais davantage
Les affreux boulets ennemis,
Du poids de ceux que je vomis.
Quant aux vents irrités, quant à la mer sauvage,
— Dût le flot s’élancer jusqu’au plus haut nuage, —
Le solide vaisseau sur lequel on m’a mis
Peut aisément braver leur rage.
Mais je puis me tromper, ô tarets, mes amis,
Car vous avez la taille et la force en partage.
« Railler n’est pas le fait d’un sage,
Réplique l’humble vermisseau.
Sachez-le, votre fier langage
Ne sauvera pas ce vaisseau.
Parce qu’à l’aide de la poudre,
Vos flancs au loin portent la foudre
Avec un bruit retentissant,
Vous vous croyez bien fort, et bien puissant.
Pourtant, — vous l’avoûrez — vos pesants projectiles
Sont le plus souvent inutiles;
Contre des murs d’acier ils s’en vont se briser,
Sans causer la moindre blessure ;
Notre méthode à nous, qu’on semble mépriser,
Est plus lente, il est vrai, mais aussi bien plus sûre.
Le temps pour nous n’est rien ; les siècles sont des jours.
Quand vous avez lâché votre fière bordée,
Vous vous taisez ; mais nous, poursuivant une idée,
Nous marchons sans relâche, et travaillons toujours.
Dans nos noirs souterrains on ne peut nous atteindre,
Pilote et matelots rougiraient de nous craindre…
Vous vous riez de nos efforts.
Dans votre aveuglement que vous êtes à plaindre !
Plus on nous croit petits, et plus nous sommes forts. »
Ne me demandez pas, lecteurs, une morale:
Dans ce programme du taret,
Qui donc ne le reconnaîtrait,
Ton horrible programme, Internationale?
“Le Canon et taret”