Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Chartier embourbé
Le Phaéton d’une voiture à foin
Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours. C’était à la campagne
Près d’un certain canton de la basse Bretagne
Appelé Quimpercorentin.
On sait assez que le destin
Adresse là les gens quand il veut qu’on enrage.
Dieu nous préserve du voyage !
Pour venir au Chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux.
Pestant en sa fureur extrême
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le Dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde :
Hercule, lui dit-il, aide-moi ; si ton dos
A porté la machine ronde,
Ton bras peut me tirer d’ici.
Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :
Hercule veut qu’on se remue,
Puis il aide les gens. Regarde d’où provient
L’achoppement qui te retient.
Ote d’autour de chaque roue
Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu’à l’essieu les enduit.
Prends ton pic et me romps ce caillou qui te nuit.
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? – Oui, dit l’homme.
– Or bien je vas t’aider, dit la voix : prends ton fouet.
– Je l’ai pris. Qu’est ceci ? mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué. Lors la voix : Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.
Aide-toi, le Ciel t’aidera.
Chartier – On a dit à tort que La Fontaine avait écrit chartier au lieu de charretier, par licence poétique. C’était l’usage de son temps de l’écrire de la première manière, et on ne le trouve pas écrit autrement dans le dictionnaire de Nicot, en 1606. Le dictionnaire de l’Académie française, en 1696, dit qu’on peut l’écrire des deux manières indifféremment. Aujourd’hui on n’a plus le choix, et l’on doit toujours écrire de la dernière manière. (Notes et analyses, Charles Athanase Walckenaer, Lefèvre, 1835)
Autre analyse
Analyses de Chamfort
V. 1. Le phaéton d’une voiture à foin.
Aucun poète français ne connaissait, avant La fontaine, cet art plaisant d’employer des expressions nobles et prises de la haute poésie, pour exprimer des choses vulgaires ou même basses. C’est un des artifices qui jette le plus d’agrément dans le style.
V. 21. Hercule veut qu’on se remue.
Vers charmant qui méritait de devenir proverbe, comme l’est devenu le dernier vers :
Aide-toi, le ciel t’aidera.
Remarquons la vivacité du dialogue entre le charretier et la Voix d’Hercule.
fable XIX.
V. 7. Un des derniers se vantait d’être……
Le fond de cette fable est un fait arrivé dans une petite ville d’Italie ; mais le charlatan n’avait fait cette promesse qu’à l’égard d’un sot, d’un stupide, et non pas d’un âne: cela était moins invraisemblable , mais n’était pas si plaisant. Que fait La Fontaine?
Il charge , pour rendre la chose plus comique ; à la place du stupide, il met un âne , un âne véritable. Pour cela, il fait parler le charlatan même. Scène entre le charlatan , le prince et un plaisant de la cour. De ce fonds , qui était assez médiocre, La Fontaine sait tirer des détails plaisants ; et le tout finit par une leçon excellente.
Commentaires de MNS Guillon
(1) Le Phaëton d’une voilure à foin. C’est le privilège de la poésie d’ennoblir par des images vives, ou des métaphores brillantes ou par de savantes allusions, les objets les plus vulgaires. On sait ce qu’était Phaëton : fils du Soleil, il voulut conduire le char de son père ; mais incapable de diriger la course des chevaux , il fut emporté par eux et précipité dans la mer. ( V. Ovide, Mëtant, Liv. II, et pour le monument où sa chute est représentée , Montfaule. Antiq. exepL. T. I. p. 121. ) Un fabuliste moderne a dit:
Le Phaëton de ma noble voiture.
(César de Missy, fab. 35.)
(2) Près d’un certain canton , etc. La Fontaine avait appris de l’Arioste à spécifier les lieux où, se passaient les événements qu’il avait à raconter. La bonne foi de l’historien entraîne celle du lecteur ; mais pour ne point choquer , comme l’Arioste, par l’affectation du sérieux, il sait choisir le lieu de la scène si plaisamment , qu’on n’est dupe qu’autant qu’on veut bien l’être.
(3) Adresse là les gens, quand il veut qu’on enrage. Est-ce que le bon La Fontaine avait eu à se plaindre de ce pays-là? Quoi qu’il en soit, en dédommagement de l’épigramme, les habitants de la ci-devant Basse-Bretagne trouveront dans ces vers un brevet d’immortalité qui conservera le nom de leur province à travers toutes les constitutions passées, présentes et à venir… Lire la suite