Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Certain cheval qu’on venait d’étriller
Et qui s’était repu d’une herbe printanière
Dont on avait garnit son râtelier,
Se laissa mollement tomber sur la litière.
Un âne maigre était auprès ;
Que dis-je? non , c’était un vrai squelette ,
Qui d’âne à peine avait les traits.
Chacun, après dîné, philosophe et caquette :
Ainsi fit le cheval avec son compagnon.
» Eh ! comment vas-tu , mon grison ?
« Quelle maigreur ! quelle chétive mine !
Ton corps est réduit presqu’à rien.
» Assurément , tu n’es pas bien,
» Ou quelque chose te chagrine. »
« Hélas! monseigneur du cheval, »
S’écria le pauvre animal,
« De mon piteux état, la cause est ordinaire ;
» Accusez-en la faim, et de trop lourds fardeaux ;
» Et le bâton et la misère.
» Oh ! que ne vient la mort, en qui seule j’espère !
» Elle seule peut mettre un terme à tant de maux. »
— « La plainte est interdite au sage ;
» Quoique tu sois bien malheureux,
» Il faut, dit le coursier, montrer plus de courage.
» Lorsque le sort a dit, je veux,
» Ce que l’on a de mieux à faire ,
» C’est de souffrir, et de savoir se taire.
» Subis-tu seul un destin rigoureux,
— « Tout sourit à vos vœux, tout manque à ma détresse,
Reprit en soupirant Martin.
« Monseigneur a l’estomac plein ;
» Qu’il est alors aisé de prêcher la sagesse ! »
“Le Cheval et L’Âne maigre”