Un cheval, bon enfant, tel qu’aux champs on en voit,
Avec un âne, un jour, allait de compagnie ,
Je ne sais où ; vers la prairie ,
Au moulin, au marché, peu m’importe l’endroit.
Le premier , à son ordinaire,
Suivait le milieu du chemin,
Et l’autre sur le bord, allait son petit train,
En un sentier, qui n’était guère
Plus large, que la main.
Là-bas était un précipice,
Capable d’effrayer tout autre qu’un baudet :
Ami, dit-il, au cheval qui trottait,
Quittez ces pavés où l’on glisse ;
Le sentier que je suis bien mieux vous conviendra ;
On n’y rencontre pas d’ornière ;
On n’y voit pas la moindre pierre ;
Et le feuillage que voilà
De son ombre vous atteindra.
Ces raisons au cheval paraissant assez bonnes,
A la suite de l’âne il alla se ranger.
Les chevaux sont de ces personnes
Qui se laissent conduire, et qu’on peut arranger
Comme l’on veut : le notre apperçut le danger ;
Le Sentier, à peine, à sa vue
Offrait la place de ses pieds,
Et de son corps l’une des deux moitiés
Sur l’abîme était suspendue.
Que faire ? devait-il regagner le chemin ?
Certes ! s’il eut montré sa crainte ,
Quelle honte aux yeux d’un roussin !
L’amour propre donc le retint ;
Ni de reproche, ni de plainte ,
Pas un seul mot : il suivait, lorsqu’enfin
Des deux pieds , contre une racine,
Venant à chopper à la fois,
L’achoppement fit pencher la machine ,
Et le côté de la ravine •
Entraîna l’autre par son poids.
La chute fut un peu trop rude
Pour le pauvre cheval ; il y trouva la mort.
L’âne lui donna tout le tort,
Et sans aucune inquiétude ,
Toujours , du grand chemin, suivant le petit bord,
fi en conserva l’habitude
Que tous ses pareils ont encor.
Cette fable peut nous apprendre
Que l’exemple d’un sot ne doit nous engager ;
Un sot ne voit pas le danger,
C’est pour cela qu’il peut tout entreprendre.
N’espérons pas , non plus, le corriger.
L’exemple, selon qu’on le donne,
À des effets bien différens ;
Bon, il profite à peu de gens,
Mauvais, c’est un poison qui n’épargne personne.
Ah ! par quelle fatalité
Le bien est-il si lent, le mal va-t-il si vite ?
Pourquoi le sot est-il tant imité ,
Et si peu l’homme de mérite ?
Ainsi l’ont arrangé les dieux ,
Et contre leurs décrets c’est en vain qu’on murmure ;
Le mal seul est contagieux ;
C’est la marche de la nature.
Il suffit qu’un grain soit gâté ,
Pour voir pourrir une grenade ;
Il ne faut qu’un mouton malade
Pour qu’un troupeau soit infecté.
“Le Cheval et l’Âne”