Deux chiens comme l’on n’en voit plus,
Étaient unis d’une amitié si tendre
Que tout le monde eût pu les prendre
Pour Castor et Pollux.
Mais l’amour, doux présent que le ciel nous envoie,
Peut-il croître et durer toujours ?
Souvent l’ingratitude en arrête le cours.
Écoutez ce récit : Sa majesté lionne
Appela Crâne, un jour, auprès de sa personne,
Et de tous ses États lui confia le soin ;
Il devint en un mot son principal ministre.
Briffaut accourt. Il était pâle et triste,
Dès que Crâne, honteux, le vit venir de loin,
« Gardes, s’écria-t-il en faisant la grimace,
Voyez-vous ce roquet ? qu’à l’instant on le chasse !
C’est un vil factieux dont je n’ai nul besoin. »
Mais Briffaut, le regard fier, la joue écarlate,
« Ta grandeur, lui dit-il, est de bien fraîche date,
Et déjà son éclat obscurcit ta raison.
Tu ne reconnais plus ton ancien compagnon,
Je le vois ; un seul mot, écoute, et tout de suite
Je vais rentrer dans ma pauvre maison
Pour t’épargner l’ennui que ma présence excite.
Je ne suis pas venu te faire compliment,
Mais te plaindre et pleurer sur ton avènement
Au poste où ton orgueil sottement se prélasse.
Va, ne cherche jamais à m’y faire une place.
Épargne-moi ce triste affront.
Hélas ! assez d’autres viendront
Le dos courbé, t’appeler Votre Altesse
Ou Monseigneur ; pour moi, le temps me presse.
Adieu. Tous tes honneurs, ingrat, je te les laisse »
Lâches, dont le regard si fier
Se détourne aujourd’hui pour ne plus reconnaître
La main qui vous nourrit hier ;
Cœurs qu’on achète au poids, au mètre,
Comme une pièce de velours,
Et dont l’avidité n’est jamais satisfaite :
C’est pour vous que ma fable est faite,
Ô parvenus de tous les jours !…
“Le Chien devenu Ministre”