L’œil ardent, le poil hérissé,
Pour faire le guet, en vedette
Sur le devant d’une charrette
Un chien avait été laissé;
De ce poste de confiance
Il flairait d’un air d’importance
Quiconque vers le char s’avisait d’avancer.
A ce moment vient à passer
Un autre chien qui le regarde
Et lui dit : — Que fais-tu là-haut ?
Ne descendras-tu pas bientôt?
— Je ne puis pas; je suis de garde !
— Allons donc ! tu veux plaisanter.
Es-tu fou de t’aller planter
Si haut à faire pied de grue,
Quand tu peux courir dans la rue ?
— Je dois garder ce char et ne puis m’absenter.
Si je venais à déserter,
Comment sous les yeux de mon maître
Pourrais-j e songer à paraître ?
— Garder ce char, dis-tu ? Que peut-il donc avoir
De si précieux qui te rende
Esclave à ce point du devoir ?
Qu’as-tu là-dessous? — De la viande. —
A ce mot,- un grognement sourd
Plein de gourmandise et d’envie
A l’entretien vient couper court…
— Est-il vrai? Jamais de la vie
Je ne pourrais sentir sans y porter la dent
Tout près de mon museau ce repas succulent !
Y goûter serait très-facile !
C’est faire un métier d’imbécile
Que de rester ainsi sans bouger, quand tu peux
T’accorder aisément un repas copieux!
Dépêchons-nous: l’occasion est bonne;
C’est l’heure où chacun mange, et je ne vois personne
Passer ici dans ce moment ;
Allons, faisons ripaille, et déjeunons gaîment!
— L’autre garde à ces mots un dédaigneux silence.
— La patte sur la conscience,
Dit-il enfin,, n’as-tu pas honte de vouloir
Me détourner ainsi de faire mon devoir ?
Non, tu serais cent fois plus rusé, plus habile,
Que tu n’obtiendrais rien ! va-t’en, c’est inutile !
Va déjeuner ailleurs ! — Ainsi, tu ne veux pas
Me laisser partager avec toi ce repas ?
— Non! — J’y goûterai seuil A ces mots il s’avance;
Mais sur lui d’un seul bond son compagnon s’élance,
Et lui donne un tel coup de dent,
Qu’il en conserve encor la trace…
Tout déconfit et l’air dolent,
Il se sauva l’oreille basse.
Qui de nous n’admire ce chien,
Cet incorruptible gardien
Si vigilant et si fidèle?
Faisons notre devoir avec le même zèle;
Et l’ennemi qui cherche à nous faire broncher,
S’il nous voit résolus, n’osera s’approcher!
“Chien du Boucher”