Les troupeaux de Lubin paissaient dans les bruyères :
Par ici les brebis, et les chèvres par là ;
Un jeune agneau bêlait à travers ces dernières ;
Un chien qui l’aperçut en ces mots lui parla :
Où vas-tu, camarade ? ici que viens-tu faire ?
Auprès de ces genêts ne vois-tu pas ta mère ?
Mon désir, dit l’agneau, n’est point de rencontrer
Celle qui par hasard se plut à m’engendrer,
Qui durant certain temps porta, sans le connaître,
Un fardeau qu’un beau jour par force elle mit bas,
Mais celle qui de gré, guidant mes premiers pas,
De son lait chaque jour prit soin de me repaître.
Je crois pourtant, lui repartit le chien,
Que la brebis qui t’a donné naissance
Doit remporter. Pour moi, je n’en crois rien ;
Cette brebis savait-elle d’avance
Si je devais m’échapper de son flanc
Mâle ou femelle ! ou bien noir, ou bien blanc ?
Je suis mâle, il est vrai. Ma foi, le beau service
Qu’elle m’a rendu là ! je crois voir le boucher
A chaque instant du jour qui vient pour me chercher.
Ainsi donc la brebis, soit hasard, soit caprice,
M’engendre, me met bas sans veiller sur mon sort ;
Cette bonne chèvre, au contraire,
Me nourrit de son lait, me défend de la mort,
M’élève enfin ; voilà ma mère.
“Le Chien et l’Agneau”
- Jean-Auguste Boyer-Nioche, 1788-1859