Un riche partisan craignant peu la dépense,
A ses nombreux amis donnait un beau festin.
Dans la cuisine, un gros matin
Espérant y faire bombance,
S’introduit sans être invité :
L’aspect d’un énorme pâté
Redouble encor son espérance
Et pique vivement sa sensualité.
Notre mâtin croyait s’en donner à cœur joie.
Quand brusquement le cuisinier
Par la fenêtre le renvoie,
Sans lui donner le temps de prendre l’escalier.
Vous sentez bien qu’au pauvre diable
Ce chemin ne plaisait que médiocrement.
Tombé sur le pavé, d’une voix lamentable
Il jurait, en se relevant,
De ne plus se montrer désormais si gourmand ,
Et tout froissé, clopin-clopant,
Se mettait en devoir de gagner sa demeure.
Un ami qui dans ce moment
Passait par là, lui dit en ricanant :
« De ce pompeux banquet vous sortez de bonne heure,
Et par un singulier chemin.
Auriez-vous donc trouvé la pitance trop mince?
Vous aurait-on servi d’un médiocre vin ? »
« Au contraire, dit-il, c’est un repas de prince;
Mais de ces mets et de ces vins exquis
Ayant pris par malheur une dose trop forte,
J’ai senti tous mes sens tellement engourdis
Que je n’ai pu reconnaître la porte. »
Ce chien était un peu gascon, sans contredit ;
Mais dans cette occurrence il montra de l’esprit.
Lorsque le sage éprouve une mésaventure,
Bien loin d’être déconcerté
Et de faire triste figure,
Il se montre impassible, et son air de gaîté
Imposant aux rieurs, les met de son côté.
“Le Chien et le Cuisinier”
- Théodore Lorin, 18.. – 18..