On cherche les honneurs ; et moi, je les évite.
Le repos suit l’obscurité :
On ne voit guère, en même gîte,
Ambition et sûreté.
Ciron l’imperceptible, un jour, en tête folle,
Voulut faire parler de lui.
A quoi pensait Jupin, quand de la bestiole
Il logea la grande âme en un si mince étui ?
Petitesse à Ciron était un poids à charge.
Le globe était étroit pour ses pensers trop fiers.
« On étouffe ici-bas, disait-il. Dans les airs,
« Nous serions du moins plus au large.
« Ce vaste azur me plaît : si j’y faisais un tour ?
« On s’instruit à courir ; d’ailleurs, nul n’est prophète
« En son pays. Dieux ! quelle fête,
« Lorsqu’à la gent cirone admirant mon retour
« Je peindrai les cieux, ma conquête ;
« Je dirai, loin sous moi, les nuages errants,
« Mon front près du soleil, le tonnerre et les vents
« A mes pieds roulant la tempête !
« Qui sait, à ces récits pompeux,
« Si la République inspirée
« Ne dit pas : — Ciron merveilleux,
« Beau conquérant de l’Empyrée,
« Règne sur nous et nos neveux. —
« Oh ! pour qui n’était rien la veille,
« Quel plaisir de s’éveiller Roi !
« Sire ; Sa Majesté, noms flatteurs à l’oreille !
« Je parle, on m’obéit. Mon caprice est ma loi.
« Je fais la paix, je fais la guerre ;
« Cirons ont leur César : ma gloire emplit la terre,
« Et le dixième ciel ne tourne que par moi. »
L’atome en eût dit de plus belles ;
Mais il se ressouvint, au haut du firmament,
Que pour voler il manquait d’ailes.
Adieu châteaux en l’air, diadème en plein vent :
Plus de César ; Ciron est Ciron comme avant.
Il comptait, l’œil marri, ses grandeurs disparues ;
Quand près de lui s’abat des nues
L’Aigle, ministre ailé du souverain des dieux.
Que fit l’insecte ambitieux ?
Il se ravise : « Eh mais ! le vent me souffle en poupe ;
« Profitons-en. Montons en croupe ;
« Et fouette, cocher, dans les cieux.
« Fortune ! cette fois, qu’à bon port je me rende ;
« Je t’immole un bœuf pour offrande. »
Une hécatombe eût valu mieux.
N’importe. Ainsi fut fait. Ciron se glisse ; il grimpe
En haletant sur le roi des oiseaux
Qui s’envole, et, superbe, est déjà dans l’Olympe,
Sans songer qu’un Ciron pèse entier sur son dos.
Dès qu’il se vit perdu dans la plaine enflammée
Où se forge la foudre, où s’allume l’éclair,
De tout son corps trembla le Phaéton-pygmée.
Il cherche en vain, des yeux, la terre accoutumée :
Un océan de feu nage entre elle et l’éther.
Ce fut bien pis encor, quand il vit le tonnerre
Avec un long fracas brisant ses arsenaux,
Et l’aigle audacieux, dans des flots de lumière,
Se jouant avec les carreaux
Dont le seul bruit trouble la terre.
Alors vaincu, suffoqué
Par la vapeur qui l’assiège,
Petit monarque manqué,
Dégringolant de son siège,
Il tombe ; et, roulant sans fin
A travers le vide immense,
Le pauvret meurt en chemin ;
Sans avoir d’une audience
Honoré son peuple nain.
“Le Ciron”
- Jean-Nicolas-Marie Deguerle – 1766 – 1824