Un coursier, descendant du fameux Bucéphale
Et cousin du cheval Bayard,
Avait servi, d’une ardeur sans égale,
Mars et Bellone. Un malheureux hasard
Le fit choir, à la paix, chez un vieux campagnard
Qu’effraya l’allure guerrière
Du quadrupède héros:
Le voilà donc réduit aux rustiques travaux.
Voulait on envoyer les produits de la terre
A la ville voisine, on en chargeait son dos;
Mais le maître avait-il quelque voyage à faire,
Le coursier vainement agitait sa crinière;
On lui préférait un criquet,
Dont la marche triste et pesante
Rappelait assez Bossinante ;
Bref, une espèce de mulet.
Indigné d’une préférence
Injuste, et qui passait croyance,
Un dragon réformé disait : « Destin fatal !
« Ainsi que l’homme, hélas ! faut-il que le cheval
« Reste privé de récompense ? »
Un beau jour, cependant, le roi passe en ces lieux:
Le coursier se redresse, et sa noble encolure
Du monarque frappe les yeux.
« Ah ! dit-il, par quelle aventure
« Cette merveille ici? j’en ferai ma monture. »
Devenu favori du roi, Notre ami s’écriait :
« Je le savais bien, moi,
Que tôt ou tard les dieux , signalant leur justice,
« Savent tendre au mérite une main protectrice. »
Tôt ou tard!… J’y souscris, adoptons cette loi.
Pourtant survient la mort, qui nous arrête en route,
Et le temps nous fait banqueroute.
Le dragon ne pouvait y songer sans effroi.
“Le Coursier”