Au bord du Gange, accroupi sur le sable,
Un vieux fakir, très-saint, très-respectable,
Regardait couler l’eau sans faire un mouvement ;
Son regard n’exprimait que l’abrutissement.
Les Bengalis, voyant leur saint en cette extase,
Croisaient leurs bras en passant devant lui
Et murmuraient quelque dévote phrase
D’une prière oubliée aujourd’hui.
L’un de ces gens, après trois révérences,
Vint, à genoux, se mettre auprès du saint :
« Puits de sagesse, étoile d’espérances,
Écoute-moi, dit-il, je vais mettre en ton sein
Un noir secret pour décharger mon âme :
Je suis maudit, car j’ai tué ma femme. »
Le vieux fakir répondit gravement :
« N’as-tu rien fait, mon fils, de plus abominable ?
— Non, dit l’époux, mais mon fait est damnable,
Et dans l’enfer j’irai certainement.
Pour m’éviter un éternel tourment,
Dois-je jeûner, faut-il que sur la terre,
Couvert d’un sac, repentant, solitaire,
Comme un serpent je me traîne en rampant ?
— Non, fit, le saint, de l’éternelle flamme.
Pour te sauver, épouse une autre femme ! »
“Le Fakir”