Si toujours contre le danger
Fortune vint te protéger.
Plus que jamais tu dois songer
Qu’elle est bien près de s’en venger.
Qu’on ne s’étonne point si de plusieurs façons
J’aime à présenter mes leçons :
L’enfance, hélas! sait oublier si vite
Les plus sages conseils et les meilleurs avis !
Vainement du danger mille sont avertis,
En trouvez-vous un seul à qui cela profile?
De ce danger, dit-on, vingt fois on s’est tiré,
Pourquoi cesserait-il d’en être encor de même?
Pourquoi? C’est que vingt fois du péril délivré,
On y périt la vingt-unième.
Un lièvre, chez un jardinier.
Non loin duquel il avait son terrier,
Chaque jour, à la dérobée,
S’en venait prendre sa goulée.
Après qu’il s’en était donné là tout son soûl,
Parmi les choux, l’oseille et la laitue,
Il s’en retournait par un trou
Qui lui donnait facile issue
Pour entrer et sortir, sans que l’on pût le voir.
Et quand le matin ou le soir,
Quelque feuille de chou se trouvait butinée,
Ou que quelque laitue était tout écornée,
Les gens de la maison ne pensaient nullement
Qu’au jardin notre lièvre eût fait une visite :
Du voisinage seulement
Ils accusaient la marmaille maudite.
Mon drôle cependant ne manquait chaque jour
Chez le jardinier de se rendre,
Sans craindre que jamais on vînt à le surprendre ;
Riant en lui-même du tour
Qu’il jouait à ces gens : « Je broute leur laitue
» Sans qu’aucun, disait-il, soupçonne ma venue.
» Et je mangerais tout leur bien,
» Qu’ils ne se douteraient de rien !
» Je vais, je viens, sans nulle crainte,
» Et chaque jour j’entends leur plainte,
» Contre qui ? contre vingt marmots
» Bien innocens d’un tel ravage.
» Il faut que ces gens soient bien sots
» De ne pas voir d’où peut leur venir ce dommage. »
Mais ils le virent à la fin,
Et notre lièvre, un beau matin,
Dans un piège s’en vint donner à l’étourdie;
Il y perdit la vie.
- Joseph Hüe – 1800 – 1836