Le Lion, terreur des forêts,
Chargé d’ans et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,
Devenus forts par sa faiblesse.
Le Cheval s’approchant lui donne un coup de pied ;
Le Loup un coup de dent, le Bœuf un coup de corne.
Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,
Peut a peine rugir, par l’âge estropié.
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes ;
Quand voyant l’Âne même à son antre accourir :
« Ah ! c’est trop, lui dit-il ; je voulais bien mourir ;
Mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes. »
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 2. Prouesse, action de preux, vieux adjectif qui signifie, en style marotique, brave et vaillant. (Le Lion devenu vieux)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Terreur des forêts. Il le fut du moins autrefois; mais en l’environnant de ses titres antiques, le poète rend le contraste encore plus frappant.
(2) Chargé d’ans, et pleurant son antique prouesse. Le sentiment est dans l’image ; il est aussi dans l’expression. Prouesse est lui-même un mot antique ; il semble, par sa vétusté, remonter aux jours de sa gloire passée. Ainsi dans la belle statue du repos d’Hercule, l’artiste sublime qui l’a faite, ramassant la vie toute entière du héros, a su donner à sa lassitude même une expression telle, que, dans la cessation de tout travail, l’œil étonné parcourt la carrière vie ses immortels travaux.
(3) Fut enfin, au lieu de à la fin, pour comblé de maux.
(4) Le loup un coup de dents, le bœuf un coup de corne. Ici l’attaque est simultanée : dans Phèdre elle est successive ; aussi l’image a-t-elle chez loi moins de précision. Ajoutez qu’il affaiblit l’intérêt dû à son héros, en faisant voir en lui un ennemi commun, hostile corpus, contre qui l’on exerce un droit de représailles ; Et vindicavit ictu veterem injuriant. Dans la fable française, on remarquera encore combien la césure du premier hémistiche par un monosyllabe donne d’énergie et de vérité à la peinture: c’est le procombit humi bos de Virgile.
(5) Le malheureux Lion, languissant, triste et morne,
Peut à peine rugir, par l’âge estropié. Que de beautés en si peu de mots ! Le premier vers est un exemple de ce pathétique qui, suivant Longin, participe du sublime, autant que le sublime participe du beau et de l’agréable (Traite du Sublime, ch. 4·). Peut à peine rugir. Sénèque le tragique a dit de même, d’après Eschile et Epicure : les grandes douleurs sont muettes. Par l’âge estropié. Analysez ce mot estropié; il pourra vous paroitre foible, à la suite d’un tableau dont le dernier trait doit l’achever d’une manière forte et terrible. Mais tous ces vers sont si beaux, la cadence ce dernier est si heureuse, les images si imposantes, le rythme si majestueux, l’intérêt qui anime toute cette scène est si attachant, qu’on ne pense plus aux mots: je dis plus, La Fontaine a même eu le secret d’en faire une beauté. (Le Lion devenu vieux)