Le Louc et l’Igna, fable en patois Saintongeais
Argadez tieùl ignâ, s’ou piait, et, peux tieû louc.
Que vas m’z-en vous conté, mes amit, l’aventure.
Ol é moé que n’en ai tiré la pourtraiture,
A ceul’ fin qu’in chaquin lés peuge voér son souc.
Saillez pas d’ foére sans vos bourde,
Et s’ol arrivait qu’en in coin
Vous treuvissiez tieû malingouin,
Que vos pate séjan pas gourde.
Ardit ! cassez li le musâ,
Trepignez-li sus le pessâ,
Ebouillez-li le gigier et la pire.
Vous n’en écarbouy’rez de vos jôr in pu pire.
In malingouin é-t-i l’ pu for,
Tiellés lâ qu’i veut batte avan trejau prou’ tor.
S’o y’at dés Saint-Thoumas, qu’i lisan tiette histoére.
Au biâ mitan dau pré qu’arrouse la Beuloére,
In jôr dés oiye meuriénian (1) ;
In jolit ignâ nègre et bian
S’appeurchit dau russiâ peur boére.
Tieû paure cher amit ! heum ! o me sembe encoére
Le voér, keum’ s’ ol était aneut !
Il argadait sa m’man et trembiotait la poûre.
Veulà qu’in loue, catit cont’ in boesson de moûre,
Le fisquant li dissit sti qu’i dit : « Toc ! t’é keut !
I s’ mettit à grougné, peux duvran sa grand goule,
I s’ébrâzit : « J’ t’y prends, enjance de chétit !
« J’ou voé beun, ol é toé qu’as fait tielle rigoule,
« Peur que l’eive, calin, vinge pas dusqu’ikit.
« Tu veûris que de sét je fazisse ma keurve.
« Despeux quate an en ça j’en ai b’ oyut la peurve.
— « Oh ! fait poin, mon sieu l’ louc, que l’ignâ repounit,
« Je ne seû nc-naissut que despeux la Saint-Piarre ;
« Demandez-ou, s’ou piait, au borgeoè qu’é là darre. »
Qui vous at empeiché de boére tout voût’ souc?
« Ol é de voût’ coûté que l’év’ vin, mon sieu l’ louc.
« D’ayeur, peurtout a bronze, agare. »
— « É-ji mentit alôr, que l’ bigre d’animau
S’ébeuglit en feurie ?
— « Oué… fait poin, repounit tieûl’ ignâ, vous en prie,
« Mon sieu l’ louc, mon sieu l’louc, me fazez pas de mau. »
— « J’ou voé beun, que dissit le louc, maline beite !
« Peur m’aliché t’e v’nut ikit feir’ voér ta teite,
« A ceul’ fin q’ tés borgeoè, qui sont peur là catit,
« Me baillissian ine roulée. »
Sus tieû paure innocent le câlin se lancit,
En mille mourciâ l’essartit,
Et n’en fazit qu’ine goulée ,
Keume in silan d’in échardrit.
Le Loup et l’Agneau (traduction)
Regardez cet agneau, s’il vous plaît, et puis ce loup.
Dont je vais, mes amis, vous raconter l’aventure.
C’est moi qui en ai fait les portraits,
Pour que chacun les pût voir à son aise.
Ne sortez pas sans vos bâtons,
Et s’il arrivait qu’en un coin
Vous trouvassiez ce garnement,
Que vos mains ne soient pas engourdies !
Courage ! brisez-lui le museau,
Piétinez-lui sur la poitrine,
Ecrasez-lui le gésier et le foie.
Vous n’en écraserez jamais un plus méchant.
Un mauvais garnement est-il le plus fort,
Ceux qu’il veut battre ont toujours assez de torts.
S’il y a des saints Thomas, qu’ils lisent cette histoire.
Au beau milieu des prés qu’arrose la Beloitre,
Un jour des moutons meur’ténaient (1).
Un joli agneau noir et blanc
S’approcha du ruisseau pour boire.
Ce pauvre cher ami ! Ah ! il me semble encore
Le voir, comme si c’était aujourd’hui :
Il regardait sa mère et tremblotait de peur.
Voilà qu’un loup, tapis près d’un buisson de mûres,
Le regardant fixement, lui dit : « Toi! tu es cuit. »
Il se mit à grogner; puis, ouvrant sa grande gueule ,
Il s’écria : « Je t’y prends, race de coquins !
« Je le vois bien , c’est toi qui as fait cette rigole,
« Pour que l’eau, coquin! n’arrive pas jusqu’ici.
(1) Dans les grandes chaleurs, les troupeaux de bœufs et de moutons se réunissent en cercle, les têtes tournées vers le centre, et ils restent là immobiles, malgrè les excitations et les coups. c’est ce qu’on appelle en patois meuriener.