Conte tiré des cent nouvelles nouvelles
Messire Artus sous le grand roi François
Alla servir aux guerres d’Italie;
Tant qu’il se vit, après maints beaux exploits,
Fait chevalier en grand’ cérémonie.
Son général lui chaussa l’éperon:
Dont il croyait que le plus haut baron
Ne lui dût plus contester le passage.
Si s’en revient tout fier en son village,
Où ne surprit sa femme en oraison.
Seule il l’avait laissée à la maison;
Il la retrouve en bonne compagnie,
Dansant, sautant, menant joyeuse vie,
Et des muguets avec elle à foison.
Messire Artus ne prit goût à l’affaire;
Et ruminant sur ce qu’il devait faire:
Depuis que j’ai mon village quitté,
Si j’étais crû, dit-il, en dignité
De cocuage et de chevalerie:
C’est moitié trop: sachons la vérité.
Pour ce s’avise, un jour de confrérie,
De se vêtir en prêtre, et confesser.
Sa femme vient à ses pieds se placer,
De prime abord sont par la bonne dame
Expédiés tous les péchés menus;
Puis à leur tour les gros étant venus,
Force lui fut qu’elle changeât de gamme.
Père, dit-elle, en mon lit sont reçus
Un gentilhomme, un chevalier, un prêtre.
Si le mari ne se fût fait connaître,
Elle en allait enfiler beaucoup plus;
Courte n’était pour sûr la kyrielle.
Son mari donc l’interrompt là-dessus;
Dont bien lui prit: Ah, dit-il, infidèle!
Un prêtre même! A qui crois-tu parler?
– A mon mari, dit la fausse femelle,
Qui d’un tel pas se sut bien démêler.
Je vous ai vu dans ce lieu vous couler,
Ce qui m’a fait douter du badinage.
C’est un grand cas qu’étant homme si sage
Vous n’ayez su l’énigme débrouiller.
On vous a fait, dites-vous, chevalier:
Auparavant vous étiez gentilhomme:
Vous êtes prêtre avecque ces habits.
– Béni soit Dieu! dit alors le bon homme:
Je suis un sot de l’avoir si mal pris.
“Le mari confesseur”