Pourquoi sur le parvis de la rustique église
Ce grand concours de curieux ?
Pourquoi ce carillon et tous ces cris joyeux ?
« C’est, me dit un bonhomme à chevelure grise,
» Le fils, l’unique fils, du fermier du hameau,
» Qui, bien jeune encor, se marie.
» On est presqu’à la fin de la cérémonie ;
» Vous allez voir comme il est beau. »
Je m’approche : bientôt je vois ce fils unique,
Singeant le petit-maître, habillé bleu de ciel
Et de ses cheveux blonds exhalant l’huile antique.
Juste il vient d’achever, par un oui solennel,
Sa liberté mourante au pied du maître-autel.
Il s’avance à pas lents, suivi d’un long cortège.
Et, pour débarrasser sa route des gamins
Dont l’essaim turbulent l’assiège,
Leur jette au loin du cuivre à pleines mains,
Sans être ému le moins du monde
De voir cette canaille immonde,
Avide d’attraper quelques malheureux sous,
Se rouler sens dessus dessous.
Les coups de pied, de poing pleuvent dru comme grêle
Cent mains aux doigts crispés, se tordant pêle-mêle,
Pressent la fange des égouts
Dans l’espoir d’en extraire un liard qu’elle recèle;
Puis ce sont de grands cris, des trépignements fous…
Après l’affreux conflit dont l’aspect me révolte,
Les uns vont étalant leur infecte récolte;
Les autres, les vaincus, haletants et jaloux,
S’esquivent clopinants, et, de l’humide arène
Où de leurs vieux haillons plus d’un lambeau se traîne,
Pour tout profit chez eux n’emportent que des coups.
Oh ! que cet étourdi dans sa froide largesse
Peint bien l’aveugle sort qui sur l’humaine espèce
Éparpille en riant ses faveurs au hasard,
Sans que jamais il s’embarrasse
Qu’autour de lui de toute part
On se bouscule, on se terrasse.
Et qu’enfin le plus fort ramasse
La part du faible avec sa part.
« Le mariage au hameau »