De Flore le volage amant,
Par son agréable murmure ,
Avoit réveillé la nature ;
Et la nature, en s’éveillant,
Répondoit par un doux sourire
Aux empressemens de Zéphire.
De Phébus les rayons dorés
Sembloient rendre la vie au monde ;
Par sa chaleur douce et féconde,
Il avoit émaillé les prés.
L’humble et timide violette
Embaumoit déjà les vergers ;
Déjà les amoureux bergers
De leur tendre bergère en paroient la houlette.
Sur des gazons fleuris on voyoit les agneaux
Jouer, sauter, bondir, courir à la mamelle
De la brebis qui les appelle.
L’hirondelle effleuroit la surface des eaux;
L’abeille , sur les fleurs qui ne font que d’éclore,
Pilloit en bourdonnant les trésors parfumés
Que de ses pleurs la tendre Aurore
Dans leur calice avoit formés.
Philomele, par son ramage, …
Mais pourquoi tanc de verbiage ?
Disons plutôt tout bonnement :
On étoit au commencement
Du mois de mai : l’hiver avoit plié bagage ;
La douce chaleur du printems
Réjouissoit bêtes et gens,
Et moi tout comme un autre.
J’étois dans un jardin,
Qu’avec tout le talent du célebre le Nautre,
Un de mes bons amis a planté de sa main.
Quand j’eus bien admiré les bosquets, le parterre,
Je voulus voir le potager.
Un potager plaît d’ordinaire
Quand on aime à manger
J’allois rêvant à quelque chose,
Ou bien
A riens
Mais, craignant de mentir, je n’ose
Dire lequel. Un point que j’affirme sans peur,
C’est que je ne n’attendois guere
Que j’allois me trouver témoin auriculaire
D’une querelle sur l’honneur
Entre deux jeunes plantes.
La vanité, le croitoit-on?
Les rendoit éloquentes,
Eloquentes à leur façon.
” Tais-toi , s’écrioit le melon,
” Tais-toi, vil artichaut, boursouflé d’insolence,
” Je te trouve hardi, visage, de chardon,
” De prétendre avec moi faire comparaison :
” Parle pour m’honorer, ou garde le silence.
(Il faut, selon toute apparence .
Que la querelle eût commencé
Avant mon arrivée) .” Hélas! pauvre insensé,
” Juge de ton néant et de mon excellence,
” Par le mépris qu’on a pour moi.
Et les soins assidus qu’on prend autour de moi.
” Au moindre petit froid, on réchauffe ma couche;
” Sur mon habit de verre on étend un manteau ;
” Si le tems s’adoucit, on ouvre mon berceau.
” Suis-je trop échauffé ? pour me donner la douche.
” Aux rayons du soleil on fait tiédir mon eau.
” Notre maître commun tendrement me regarde;
” Je suis l’objet de son amour :
” Tu sécherois sur pied,qu’il n’y prendroit pas, garde;
” Et si tu vois encor le jour,
” Tu le dois à ma sauvegarde.
” Si la servante Madelon,
” Qui vient en simple cotillon
” Sarcler ici la mauvaise herbe,
” Avoit droit d’approcher de mon heureux séjour,
” Mon beau voisin , qui fais aujourd’hui le superbe,
” Demain tu chaufferois le four “.
Enfin l’artichaut eut son tour,
Et dit d’un ton plus doux : “Ton excès d’arrogance
” Vient d’un défaut d’expérience;
” Je veux bien te le pardonner ,
” Mais pour t’instruire un peu tache de raisonner.
” Les soins qu’on prend pour toi me seroient inutiles ;
” Je saurai bien donner un bon fruit sans cela;
” Tu crois qu’on me néglige et tu juges par-là
Que le maître me compte au rang des plantes,
” Pauvre ignorant ! ne vois-tu pas ?…
” Peut-être que tu donneras
” Un fruit qui sera bon peut-être.
” Sur ces peut-être hasardeux,
” Tu vois chaque jour notre maître
” A te cultiver fort soigneux ;
” Et de-là tu prétends conclure
” Que pour toi seul il a des yeux!
” Apprends, fragile créature,
” Le sort qui nous attend tous deux,
” Et juge si tu dois ainsi me faire injure.
Quand nous aurons donné nos fruits dans leur saison,
” Le tien fût-il exquis, de ta belle maison
Tu seras arraché ; par dessus la muraille,
” Dans la rue on te jettera,
” Tandis qu’un bon sur-tout de paille
” De l’hiver me garantira.
” Ne sois donc plus si fier de la vaine tendresse
” D’un maître qui nous traitera,
” Moi comme un bon ami, toi comme une maîtresse”.
“Le Melon et l’Artichaut “