Jadis un père de famille
Eut un fils beau comme le jour;
Il eut au contraire une fille
Sans nuls attraits, vrai remède d’amour.
Ces enfants badinaient, comme font d’ordinaire
Ceux de leur âge ; et trouvant un miroir
A la toilette de leur mère,
Le Narcisse nouveau prit plaisir à s’y voir.
Devenu tout a coup amoureux de lui-même,
Il vanta ses attraits, vanité dont sa sœur
Ressentit un dépit extrême,
Croyant a chaque mot qu’il taxait sa laideur.
Elle n’entendait pas là-dessus raillerie.
Quoique fort jeune encor, l’amour-propre et l’envie
S’en étaient emparés. Elle va promptement
Trouver son père en son appartement.
« Mon petit frère a la manie
De se mirer, dit-elle; il se croit un soleil,
Et son orgueil est sans pareil.
Défendez-lui, mon père, je vous prie,
D’approcher du miroir et de s’y regarder. »
Le père, loin de le gronder,
Les embrassa tous deux, tour à tour les caresse,
Et leur partageant sa tendresse,
« Mes chers enfants, dit-il, je veux
Que vous vous miriez tous les deux ;
Vous, mon fils, afin que l’image
De la beauté, dont Dieu prit soin de vous parer,
Vous donne horreur du vice et du libertinage,
Qui pourraient la déshonorer :
Et vous, ma fille, afin qu’en cette glace
Apercevant votre disgrâce,
Et que vous n’avez pas ces attraits enchanteurs
Dont brille souvent la jeunesse,
Vous répariez ce défaut par vos mœurs.
Rien n’est si beau que la sagesse.»
“Le Miroir”