Il paraissait heureux, ce pâtre, sous son chaume,
Pourtant il ne possédait rien
Que sa cabane, un arpent et son chien;
Mais plus qu’un souverain dans son riche royaume
Il savourait la vie. Un rayon de soleil
Entrait dans sa masure avec la première heure,
Et faisait resplendir sa chétive demeure;
D’un éclat riant et vermeil
Que n’imiteraient pas de cent Californies
Toutes les mines réunies.
Il vivait de pain noir, et le jus du raisin
Jamais ne lui fournit une liqueur traîtresse;
La source d’un ruisseau voisin
Lui prodiguait sa limpide richesse,
Et toujours il chantait quelque joyeux refrain.
Qu’est-il donc devenu? !a parque impitoyable
A-t-elle, hélas! tranché ses jours?
Les mois en vain, suivent leurs cours,
Je ne le revois plus. Puis, attristant spectacle
Son champ si florissant, par la ronce envahi,
Accuse l’absence du maître;
Jamais plus au soleil ne s’ouvre la fenêtre
Où les rayons entraient comme chez un ami.
— Ce qu’il est devenu, je m’en vais vous le dire :
Le pâtre, l’homme heureux à la forte santé,
Oui dans le ciel seul savait lire,
Un jour, comme pris de délire.
Loin de ce toit par son père habité,
Il a porté son gîte au sein de la cité.
Mais là, l’air embaumé qui caresse la plaine
Ne peut loucher son front, et le sang dans sa veine
Coule plus chaud, plus lourd; on n’entend plus sa voix
Comme dans les jours d’autrefois,
Chanter un air joyeux ; mais d’une grosse somme
Il est riche à présent. — Ah ! mon Dieu, le pauvre homme !
« Le Pâtre », Mme. Louise Priou , 18..-19…