Jadis un pigeon ramier
S’entêta d’une hirondelle.
Il ne fut pas le premier,
Ni le dernier épris d’elle.
Elle était jeune, était belle,
Ou peu s’en était fallu :
Et ce peu la laissait telle,
Qu’une plus belle eût moins plu.
Bref, le fuyard, dit l’histoire,
S’empêtra dans le lien :
Pigeon n’aime que trop bien,
N’étant pas, comme on peut croire,
L’oiseau de Vénus pour rien.
On l’aimait, en récompense.
Peut-être au fond presque point,
Mais assez en apparence;
Et c’est toujours un grand point
Pour l’amant en défiance.
Déjà cependant en l’air
Régnait l’orageux Borée:
Déjà s’approchait l’hiver.
Au voyage d’outre mer
L’hirondelle est préparée :
Ne plus vivre en même lieu,
O disgrâce sans égale!
Arriva l’heure fatale
Qu’il fallut se dire adieu.
Quand ce mot des bouches tombe
Malheur aux cœurs de colombe !
Consolez-vous, mon ami,
Lui répétait l’hirondelle :
C’est trop pleuré, trop gémi :
Je vaux une tourterelle.
Je retournerai fidèle,
Et sans déchet, ni demi.
A ces mots la favorite
Passe au pays tempéré;
Et par un bras d’Amphitrite
Le couple est tôt séparé.
L’oiseau reste, se désole.
Eh ! pourquoi ces cris perçants ?
Le voyage pour qui vole
Ne paraît pas des plus grands.
Trois mois ne sont pas mille ans.
Surtout trois mois d’espérance.
Non; mais pour un tendre amant
Fut-il jamais courte absence,
Ni petit éloignement?
A chaque moment qui passe,
L’amour, en cas pareil,
fait Compter plus d’un siècle, et met
Entre l’un et l’autre objet,
Les deux pôles pour espace.
Enfin le printemps paraît
Et ramène l’hirondelle:
Le pigeon la voit, l’appelle,
Et Progné le reconnaît.
Que me voulez-vous? dit-elle.
Ce que je vous veux, cruelle !
Quoi ! vous !… Mais sourde à ses cris,
L’infidèle vole et passe ;
Le pigeon meurt sur la place ;
Et je n’en suis pas surpris.
(Le Pigeon et l’Hirondelle)
- Alexis Piron, 1689 – 1773