Charles Porphyre Alexandre Desains
Un Poète, amateur de la belle nature,
Pour admirer les champs sortit de grand matin ;
Il n’était pas de ceux qui, farcis de latin,
Auprès de leurs tisons dépeignent la verdure,
Ou qui, de l’aube en pleurs modérément touchés,
N’ont vu l’aurore qu’en un rêve,
Et qu’on trouve toujours couchés
A l’heure où le soleil se lève.
Au chant de l’oiseau printanier,
Si joyeux quand des nuits le voile se soulève,
A l’éclat dont brillaient aubépine et pommier,
De leur neige de fleurs embaumant la contrée,
Le rimeur s’exaltait, et sa muse inspirée
Semblait se réveiller avec le monde entier.
ll voulait tout chanter : sa verve ambitieuse
Célébrait d’abord le Ruisseau
Qui, parmi les rochers voisins de ce coteau,
Cachait en murmurant sa course harmonieuse.
Doux Ruisseau, disait-il, combien j’aime tes bords !
Même sans t’avoir vu, je me sens plus en veine ;
Tu roules dans tes flots de gracieux accords,
Mes vers, ainsi que toi, vont couler sans efforts
Et tu deviens mon Hippocrène.
ll s’élance, à ces mots, pour y boire à longs traits.
Mais loin d’avoir autant d’attraits,
Ce Ruisseau, qu’il croyait riche d’une eau si pure
Que, sur la foi de son murmure,
Il allait appeler cristal,
Bourbeux comme un fleuve infernal,
Traîne une vase jaunissante
Que le chantre désenchanté
Par la triste réalité
Éloigne avec dégoût de sa lèvre prudente.
Plus d’un fourbe au cœur vil vous séduit par les jeux
D’un langage doux et perfide ;
Fuyez-le, mes amis, c’est le Ruisseau fangeux
Qui murmure aussi bien que le ruisseau limpide.
Charles Porphyre Alexandre Desains, (1789- 1862)