Un grand seigneur voulut avoir
Sa plus exacte ressemblance.
Le peintre y mit tout son savoir;
Aussi fut-il payé par la reconnaissance :
Car le grand seigneur crut s’y voir
Comme il l’eût fait dans son miroir.
Il était laid pourtant, car l’aveugle nature,
En le modelant, n’avait pas
Dans les contours mis le compas :
L’original et la peinture
Étaient chacun une caricature.
Cela se voit souvent, hélas !
Mais on dit au vilain toute sa vilenie,
Tandis qu’en la maison des grands
La vérité s’arrête en ses pas chancelants.
Monseigneur, qu’abusait la courtisanerie,
Ne voyant rien pareil à lui,
Se croyait tout au moins sans égal sur la terre,
Vrai phénix à ses yeux, et ne préjugeait guère
Exciter tout bas en arrière
Le rire du flatteur qui l’encense aujourd’hui.
Mais, un jour, il lui vint soudaine fantaisie,
Et seul, échappé de l’hôtel,
Prison dorée où le plaisir ennuie,
II allait tout gaîment, ainsi que va l’oisel
À son premier essor sur la branche fleurie,
Et vint donner dans un essaim d’enfants,
Tout entier à des jeux qu’interrompt sa présence.
Mais alors quel sabbat commence !
— L’étourdi ! Criaient les plus grands ;
— Fi le vilain qui nous dérange !
— Oh ! Qu’il est laid ! Quelle figure étrange !
Dit en fuyant le plus petit.
Demeuré seul, le prince réfléchit
Pour la première fois peut-être ;
Tel qu’il était le pauvre homme se vit…
— Ah! pensa-t-il, jusqu’au jour qui me luit,
Dupe de tous, je me crus l’être
Favorisé du ciel, quand j’inspire l’effroi ;
Hélas ! En mon palais, que pensait-on de moi ?
Ah ! Pour apprendre à se connaître,
Il ne faut pas rester chez soi.
“Le portrait du Prince”