Un beau jour le Rat des champs
Invite le Rat des villes,
D’une façon fort civile,
À un pique-nique aux champs.
Le régal est bien honnête,
Fourni en graines et en grains
Mais le Rat des villes, c’est bête
Ne sait profiter de rien.
Les orties piquent ses pattes
Les abeilles font du bruit
Les fourmis passent sans hâte
Ni gêne, à côté de lui.
Les grands espaces l’indisposent,
Le soleil l’éblouit,
Le bon air le rend morose,
Il s’inquiète de la pluie.
Soudain il dit au Rat des champs :
– « Assez joué à l’Émile
Merci gars, moi j’fous mon camp,
Dès ce soir, je rentre en ville,
D’ac’ j’y croûte du from’ton
Bien dur, et peu à la fois.
Recta, c’est pas tes oignons
Si on y passe de piège en chat.
Mais mézigue là-bas j’suis caïd,
Et si l’coinstot est pas select’
Dans les bistrots on m’respect’
Mêm’ si j’vadrouill’ l’ventre vide ».
« Le Rat des champs et le Rat des villes – rôles inversés »
Comparer avec la fable de La Fontaine :
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’Ortolans*.
Sur un Tapis de Turquie*
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne* aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
– C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi* du plaisir
Que la crainte peut corrompre.