François Richard-Baudin
Poète et fabuliste XIXº – Le renard député
Une ample comédie à cent acteurs divers.
Un jour le roi Lion, prince assez libéral,
Résolut d’assembler les états de l’empire :
Chaque canton devait élire
Un ou deux députés, d’après le vœu royal.
Le monarque voulait, aidé de leur prudence,
Réprimer les excès, corriger les abus,
Du peuple trop chargé soulager la souffrance
Et remettre en honneur les antiques vertus.
L’Âne, crieur juré, publia l’ordonnance.
Aussitôt tout s’émeut dans les champs et les bois.
Partout l’ambition, l’intrigue entre en campagne :
Ardent à la chasse des voix,
L’un arpente la plaine et l’autre la montagne ;
C’est plaisir de les voir se croiser, se heurter,
Courir, tout hors d’haleine, et prompts à s’insulter.
On s’attaque, on se mord ; on s’excuse, on se prône :
Cet Ours, esprit bouché, veut conseiller le trône ;
Ce Renard, des Dindons est le ferme soutien ;
Tous, désintéressés, ne veulent que le bien.
Ils flattent l’un, puis l’autre : ils flattent la canaille ;
Même avec les Roquets le Dogue altier ripaille.
Le Renard entre tous se faisait remarquer :
Il prononçait si bien ce grand mot de Patrie,
Qu’il devint le héros de la foule éblouie.
Il va, vient, fait cent tours, habile à débusquer
Ses rivaux moins adroits ; il sème les promesses ;
Qu’on le nomme, et chacun aura part aux largesses ;
Il comblera tout le pays.
Le Loup, gros électeur, pour prix de son suffrage,
Exploiterait bientôt un bois des mieux garnis ;
Dom Coursier obtiendrait un meilleur pâturage,
Du foin jusqu’au poitrail ! La plus maigre Souris,
D’un lard délicieux et de repos nourrie,
Aurait un ventre à faire envie.
Les autres candidats n’avaient pas tant promis.
« Rien pour moi, criait-il, mais tout pour les amis ;
» Oui, tout pour le canton dont le vœu me réclame,
» Dont je sais les besoins ! » C’était là son programme.
On le crut ; la majorité
Par acclamation le nomma député.
Pour Léontopolis, notre Renard s’embarque,
Se pousse auprès des grands, en impose au monarque,
Et fait si bien qu’il joint les profits aux honneurs.
Du pays, pas un mot ! Les abus subsistèrent :
Les parents du Renard seulement s’engraissèrent ;
Sur leur tête il plut des faveurs.
Le Loup eut sa forêt, car il était à craindre ;
Dom Coursier se vautra sur l’herbe et dans les fleurs.
Pour les empêcher de se plaindre,
On entretint l’espoir des moindres électeurs ;
Et le reste du peuple en fut pour ses clameurs.
Dans notre beau pays de France
La chose se passe autrement :
Étranger à l’intrigue et brillant d’innocence,
Chaque nouvel élu prend place au parlement.
Pourtant quelques malins, mais j’ai peine à le croire,
Veulent qu’ici la fable ait tout l’air de l’histoire.
François Richard-Baudin