Charles Porphyre Alexandre Desains
Esclave des laquais engraissés près de lui,
Ne sortant qu’assoupi dans sa molle voiture,
Le Crésus indolent dont je parle aujourd’hui
Méprisait les plaisirs que le travail procure.
En sursaut, l’autre jour, il s’éveille à midi,
(Ce serait tard pour nous, pour lui c’était l’aurore) ;
Il ne peut se mouvoir, il croit rêver encore ;
Sa Jambe est insensible et son bras engourdi.
Il appelle, on accourt, on tremble pour sa vie ;
Dès ce moment Mondor est en paralysie.
Heureusement le mal, par les soins arrêtés,
N’afflige cette fois que chaque extrémité ;
Tout le reste conserve une santé brillante.
En plaintes, cependant, le perclus se confond,
Et dans son désespoir profond,
Quand nuit et jour il se lamente,
Il demande pourquoi le Destin le tourmente.
Le Destin apparaît, et bientôt lui répond :
Mes arrêts, tu le sais, sont toujours sans réplique.
Il fallait qu’un mortel devînt paralytique,
C’est toi que j’ai choisi, je ne m’en repens pas.
A qui pouvais-je mieux m’adresser ici-bas ?
Me fallait-il frapper le père de famille
Dont la seule santé compose tous les biens
Que le ciel lui donna pour établir sa fille,
Et faire de ses fils d’utiles citoyens ?
Ou devais-je arrêter ce riche vénérable,
Qui, modérant son luxe et bornant son repos,
Sait consacrer de l’or et de nobles travaux
A calmer les malheurs qu’endure son semblable ?
Non, non, l’homme trop fréquemment
Se plaint avec raison de mon aveuglement ;
Je fais, cette fois-ci, le moins de tort possible ;
Je suis même étonné de t’y voir si sensible ;
On te croirait en butte au sort le plus fatal.
En t’immobilisant, t’ai-je fait tant de mal ?
Je te prive des bras, tu n’en savais que faire ;
Tes jambes, dès longtemps, étaient du superflu,
Tu peux encor manger, ton estomac digère,
C’est tout ce qu’il te faut, et de quoi te plains-tu ?
Charles Porphyre Alexandre Desains, (1789- 1862)