Fables de l’Académie des jeux floraux
M. Florentin Ducos (1789-1873), un des quarante Mainteneurs,
Lue dans la séance particulière du 29 juin 1838.
Autrefois les Canards vivaient en république.
Chez eux complète liberté,
Chez eux parfaite égalité;
Telle était en deux mots la charte pacifique
Qui réglait les destins de leur race aquatique;
Repos, bonheur, joie et santé,
C’était toute leur politique.
Je ne sais comme il arriva.
Mais un jour dans la compagnie
Un ambitieux se trouva;
Aussitôt la paix fut bannie.
Notre intrigant, brouillon hardi.
Va trouver les Canards des coteaux, de la plaine,
Les prend l’un après l’autre, et leur fait voir sans peine
Les étoiles en plein midi.
( La république est l’anarchie,
Ce monstre va nous dévorer ;
D’un pareil embarras on ne peut se tirer,
Qu’à l’aide d’une monarchie. »
L’orateur n’omit pas les ressources de l’art;
Il bredouilla si bien, que l’on crut le comprendre ;
Dieu sait ce qu’on pouvait attendre
De l’éloquence d’un Canard !
Il eut le grand secret d’étourdir les oreilles,
” Les Poules ont un chef qui les fait respecter.
Quant à nous, disait-il, nous devons imiter
Le gouvernement des Abeilles;
On en raconte des merveilles.
Pour suivre leur exemple, il faut élire un roi,
Je ne veux point ici vanter mes avantages ;
Mais je pense que vos suffrages
Ne peuvent tomber que sur moi. »
De l’aquatique Démosthène
Telle fut la péroraison.
Chacun lui dit Amen; et d’oison en oison,
Il s’en va, tout gonflé de leurs promesses
vaines, Rêvant déjà la pourpre et l’empire absolu.
Au congrès général Canards en abondance ;
Mais, le scrutin fermé, chaque vote étant lu,
Le pauvre candidat vit se fondre sa chance,
Et s’envoler son espérance;
Un autre Canard fut élu.
Ainsi travaille maint apôtre,
Croyant à son profit bouleverser l’état ;
Mais dont le zèle, en résultat,
Ne sert que la fortune et la grandeur d’un autre.
“Le Roi des Canards”
Recueil de l’Académie des Jeux Floraux – 1839