Léon de Montesquiou, en reconnoissance de ma lettre, m’en écrivit une charmante, mais qui ne contient que quatre ou cinq lignes, dans lesquelles il dit que sa mère lui défend de m’en écrire davantage; dans cette lettre il m’envoyoit une fable intitulée , le Rossignol et la Fauvette, faite par son père à ce sujet; et il ajoute dans son billet, pour que je ne m’y méprenne pas, ces mots : Madame, le rossignol c’est vous; la fable est si jolie, que je l’ai fait transcrire ici. Léon n’a pour instituteurs que son père et sa mère, et il est élevé comme on ne le sera jamais dans les pensions; avec une naïveté et une modestie charmantes, il a l’instruction la plus étonnante à son âge; j’espère qu’il fera le bonheur de ses parens, qui le méritent bien à tous égards.
Voici la fable :
Un rossignol harmonieux,
Chantre favorise des dieux,
Miracle du printemps , charme de la nature ,
Moduloit ses accords pendant la nuit obscure ;
Surpris, on admiroit dans mille accens divers
Cette voix éclatante et pure :
Un calme approbateur protégeoit ses concerts.
Près de là , dans un nid prospère,
Vivoit un jeune oiseau sous l’aile de sa mère;
Il étoit loin des jours où l’on prend son essor,
Il n’étoit pas habile encor;
Et d’ailleurs ce n’étoit qu’une simple fauvette.
Ce naissant mélomane, au fond de sa retraite,
De tant d’accens heureux muet admirateur,
Écoutoit l’improvisateur.
L’audace est quelquefois compagne du jeune âge.
Ne voilà-t-il pas l’imprudent
Qu’un si bel exemple encourage ;
Il veut au rossignol charmant
Répondre en son foible langage;
Mais sa mère le lui défend,
Et dit au jeune téméraire:
Une fauvette, mon enfant,
Près du rossignol doit se taire.
“Le Rossignol et la Fauvette”
- Texte : Mémoires inédits de Madame la Comtesse de Genlis, sur le dix-huitième siècle et la Révolution Française: depuis 1756 jusqu’à nos jours, Volume 6 – Stéphanie Félicité de Genlis – Ladvocat, 1825.