Traduction de la fable latine du Soleil et des grenouilles
Les Grenouilles d’un marécage,
Vils insectes, formes de boue & de limon,
Qui ne sont ny chair ny poisson,
Donnoient de la terreur à tout le voisinage,
Et de leur humide séjour
Faisoient trembler les bœufs qui paissoient alentour.
On a veu ces méchantes bêtes
Jusques dans l’Oçean, étendre leurs conquêtes :
Car ainsi le destin bizarre en ses projets,
Prend plaisir d’élever les moins dignes sujets.
Dans leur prosperité se croyant indomptables,
Leur orgueil les rendit, par tout insupportables,
Et cet orgueil suivy des crimes les plus noirs,
Leur a fait violer les plus justes devoirs.
Le Soleil, qui le pourra croire ?
Luy qui fut leur appuy, qui fit toute leur gloire,
S’en est veu sans raison hay,
Et cent fois laschement trahy.
Son éclat leur a fait ombrage,
Elles n’ont pu le voir sans rage
Par tout l’univers révéré,
Et de cent peuples adoré.
Les perfides par tout cherchent à luy déplaire,
Et ne pouvant enfin se taire
Elles vont décrier en cent climats divers
La conduite qu’il tient à régir l’univers.
Soit qu’il tourne, son char vers l’Inde ou vers l’Ibere,
Soit que jusqu’au lion il porte sa lumière,
Soit qu’a son aspect le croissant
Devienne pasle & languissant :
Sans cesse l’ingrate canaille
A l’enuy contre luy se déchaisne, & criaille ;
Elle se plaint qu’il gaste tout,
Et poussant la folie à bout
Elle s’emporte, elle menace,
Elle prétend qu’il soit tousjours en mesme place
Sur peine d’encourir son indignation :
O l’insolente nation !
Mais cette menace si fiere
N’ayant pu l’empescher de fournir sa carriere
Ces insectes malicieux
Taschent de dérober sa lumiere à nos yeux,
Et remuant des pieds leurs sales marécages,
Excitent des vapeurs qui forment des nuages
Et fins ces nuages obscurs
Nous cachent du Soleil les rayons les plus purs,
Ah ! trop audacieuse bestes
Vous avez, formé des tempestes,
Dit le pere du jour en son juste couroux,
Qui s’en vont retomber sur vous.
Puis ramassant ses feux épars sur l’hemisphere,
Il allume, il durcit cette vapeur legere,
Il en fait des éclairs, il en fait des carreaux,
Dont il va les frapper jusqu’au fons de leurs eaux.
Au milieu du limon, étonnée, immobile,
L’ingrate trouppe en vain croit trouver un azile
Le Soleil brûle tout, & l’ardeur de ses traits
Penetre le limon & seche le marais,
Ainsi les perfides perissent,
Ainsi tous leurs projets en l’air sevanoüissent,
Et leurs corps étendus au milieu des roseaux
Servent de nourriture & de proye aux oyseaux.
Mais l’on dit qu’en mourant une des moins coupables
Dit ces paroles mémorables.
N’accusons point le sort, mes sœurs, c’est justement
Que le Soleil nous fait souffrir ce chatiment,
Justement sa vengeance éclate,
Contre une republique ingrate.
Et vous ! dit- elle, nos neveux
Apprenez le respect que vous devez, aux Dieux.
“Le Soleil et des Grenouilles”