Sous le ciel brûlant du Bengale,
Un tigre de race royale,
Après avoir blessé quelques chasseurs,
Au milieu d’une troupe ardente à sa poursuite,
À leurs balles s’était dérobé par la fuite,
Et des forêts gagnait les profondeurs.
En approchant de son repaire
Il aperçut un éléphant
Qui, par le fer atteint mortellement,
Gisait tout sanglant sur la terre.
« Eh ! quoi, lui dit la bête sanguinaire,
« Un colosse tel que toi
« Se laisse faire la loi
« Par l’homme que la Nature
« N’a point doué de ton armure,
« De tes dents, objets d’effroi,
« De ta trompe magnifique
« Ni de ta force athlétique,
« Qui te rendraient des animaux le roi,
« Si tu n’étais trop pacifique !
« On me redoute plus que toi.
« Tu l’emportes par ta masse,
« Moi, par ma rapidité,
« Par mon adresse et mon audace.
« Je brave des chasseurs l’impuissante menace
« Et les fais repentir de leur témérité. »
Si l’éléphant en stature
Surpasse toute créature
Que sur la terre Dieu plaça,
En instinct nul ne l’égale,
Parmi la gent animale.
Voici comment il s’énonça,
En réfutant la brute carnassière :
« Tu comptes trop, mon confrère,
« Sur la terreur qu’inspire ton regard.
« Ne sois pas aussi vantard
« De ta force musculaire,
« Ni de ta course légère.
« Plus rapide est encor la balle meurtrière.
« L’homme est notre vainqueur ; quoique moins fort que nous,
« Quant à la vigueur corporelle,
« Sa puissance intellectuelle
« Nous fait succomber sous ses coups.
« Aux bords où l’espèce humaine
« Vient établir son domaine
« Et son pouvoir de tout autre jaloux,
« Elle nous chasse ou nous enchaîne
« Et nous refoule aux déserts.
« Toute lutte serait vaine
« Contre son plomb qui fend les airs,
« Aussi prompt que les éclairs,
« Et porte une mort certaine ;
« Ainsi n’affronte point sa haine,
« Sinon tu périrais en tombant dans les fers
« De ce maître de l’univers. »
Le grave quadrupède achevait sa tirade,
Quand soudain une fusillade
Venant de nos chasseurs cachés en embuscade
Atteignit mon tigre en plein corps
Et l’envoya parmi les morts.
La vigueur et l’agilité
Ne valent pas l’intelligence ;
C’est par cette qualité
Que, dans la société,
On acquiert la prééminence.
De la raison, ce don immense,
Qu’à l’homme fit la Providence,
Naît sa supériorité
Sur tous les animaux, et son âme qui pense
Prouve son immortalité.
“Le tigre et l’éléphant”