Air : Un jour, dans un joli boudoir,
Le Champagne un jour se fâchait
Avec le bordeaux son confrère,
Et fièrement il lui disait :
A loi partout on me préfère;
Tu possèdes peu de valeur
Étantdes bords de la Garonne,
Moi, par mon feu, par ma vigueur.
Dans les banquets on me couronne.
Pourquoi cette présomption ?
Répond le bordeaux fort tranquille.
Confrère, point d’ambition,
Ne vous échauffez pas la bile ;
Vous vous faites tort sur ma foi,
Sagement vous pouvez me croire;
Vous parlez beaucoup contre moi
Sans pouvoir effacer ma gloire.
Bientôt, durant un grand festin,
C’est le bordeaux que l’on révère;
Le Champagne fait le mutin
Le voyant verser à plein verre.
Dans ce beau repas l’on te sert,
Dit-il, je le vois avec peine,
Mais, va, je crois bien qu’au dessert
Ma gloire effacera la tienne.
Au bordeaux l’on a fait honneur,
Le Champagne, enfin, va paraître,
Ce dernier redouble d’ardeur,
Jaloux de se faire connaître;
L’on coupe à l’instant le lien
Qui le relient dans l’esclavage;
Chacun change alors de maintien
Pour goûter au nouveau breuvage.
A l’instant saute le bouchon.
L’ardente liqueur aussi preste
Vivement quille le flacon,
Se perd partout sans qu’il en reste;
Elle tache, et l’on dit, holà !
Quelle est donc cette évaporée?…
Nos chers convives, ce jour-là,
N’en ont goûté que la fumée.
Aux orgueilleux j’offre un miroir
Qu’ils trouveront dans cette fable ;
Quoique très simple elle fait voir
Qu’un sot orgueil est méprisable :
Que de gens font de grands fracas
Sachant se flatter et médire,
Mais en faisant tant d’embarras
Ils finissent par ne rien dire.
Autoine Dida. (Le Vin de Bordeaux et le Vin de Champagne)