Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet
Le jeune Blaise, il avoit bien, je pense,
Quinze à seize ans, il raisonnoit déjà ;
A son logis , d’un air de nonchalance,
S’en retournoit, comme un enfant s’en va,
Les bras balans & crossant une pierre.
Dans un buisson, près d’une fondrière,
Voilà que son œil incertain
Voit un serpent, mais sans fiel, sans furie ,
Serpent de bonne compagnie.
Ah! ah! dit-il; l’animal est bénin;
Sait-il jouer? Il le prend dans sa main,
Puis il ajoute : ô toi, maligne bête,
Je n’aurois pas fait ce pas hasardeux,
Si je n’eusse apperçu que l’on a de ta tête
Extirpé certain dard fâcheux :
Car je vous connois bien, vous autres créatures ,
Vous êtes perfides, ingrats;
Mais aussi je n’oublierai pas
Les beaux récits qu’on fait de vos parjures ;
Ce campagnard qui de si bonne foi
Prit un serpent, de tes parens peut-être,
Et dans son sein vous réchauffoit le traître
Qui sans lui périssoit de froid.
Qu’y gagna-t-il ? Le barbare reptile
Eut à peine repris sa première vigueur,
Qu’il souilla de sang son asile ,
Et déchira le sein de son libérateur.
Vous m’étonnez, répond le serpent pacifique;
Vous n’êtes pas instruit de cet événement.
Chez vous, on le conte autrement ;
Et chez nous on est véridique.
L’homme , il est vrai, crut le serpent transi ;
Mais de son lâche cœur connoissez l’artifice.
De le bien réchauffer il ne prit le souci,
Que parce que sa peau flattoit son avarice.
Dans son sein même il osa le cacher ;
Mais c’étoit de sa part excès de barbarie,
Puisqu’il ne lui rendoit la vie
Que pour gagner le temps de l’écorcher.
Tais-toi, lui dit Blaise en colère ,
Tu prétends en vain m’abuser :
Tous les ingrats ont l’art de s’excuser.
Fort bien, mon fils, interrompit son père,
Qui dans un coin écoutoit ses discours ;
Mais de ce qu’il t’a dit profite pour toujours.
Si l’on te vient parler d’un trait d’ingratitude,
Barbare, inoui, révoltant,
Cherche la circonstance , examine l’instant ;
Lis dans les cœurs, c’est la plus belle étude.
“L’Enfant et le Serpent”