Raymond de Belfeuil
A côté d’un rentier,
Vivait un pauvre savetier.
Tous les deux se trouvaient avoir un fils unique.
Le savetier, dans sa boutique,
Occupait son enfant toujours de grand matin,
Et sa figure épanouie
Respirait la santé, le bonheur et la vie,
Mais, en se comparant à son jeune voisin,
Qui ne travaillait point et que gâtait son père,
Le fils du savetier en conçut du chagrin.
« Qu’ai-je donc fait au ciel, disait-il à sa mère,
Pour qu’il m’ait refusé
Ces biens dont il a disposé
Si libéralement pour le petit Etienne ? »
Et cent autres propos sur cette même antienne.
Le lendemain, d’Etienne il apprenait la mort :
Une fièvre l’avait emporté dans une heure.
Le fils du savetier n’enviait plus son sort.
« Riche ou pauvre, il faut que l’on meure,
Lui dit sa mère, et Dieu fait bien tout ce qu’il fait !
D’une santé de fer tu lui dois le bienfait ;
Cela seul, mon enfant, vaut tout l’or de la terre. »
N’accusons pas notre destin ;
Ayons plutôt l’esprit de cette mère :
Chacun a sa richesse au monde et son chagrin,
Les uns pleurent le soir, les autres le matin.
“L’Enfant riche et l’Enfant pauvre”
Raymond Belfeuil – Paris 1869.