Après un long hiver enfin il dégelait ;
A la pluie, en fondant, la neige se mêlait,
Et ce double tribut, joint au cours de la Seine,
Avait des îlots jaunis si loin couvert la plaine,
Qu’un bourg des environs fut presque submergé.
L’honnête paysan, tout à coup obligé
D’abandonner le toit de la douce chaumière
Où longtemps il vécut heureux,
Dans sa fuite souvent reportait en arrière
Un regard fixe et douloureux.
Enfin tout avait fui de ce lieu de tristesse,
Tout, excepté certains Canards,
Qui faisaient, par des cris rauques et nasillards,
Éclater les transports d’une sotte allégresse.
L’un d’eux, guide effronté des autres compagnons,
Avec morgue leur dit : Chers amis, nous régnons !
L’homme ne paraît plus, et, si je suis bon juge,
Son espèce a péri dans ce complet déluge.
Plus d’arche, cette fois, pour sauver nos tyrans !
Le Ciel, honteux enfin d’éclairer ces méchants,
Fait peser sur eux tous sa rigueur salutaire,
Et veut que nous soyons seuls maîtres de la terre !
D’un can can général l’orateur applaudi,
Dans ses autres discours fut encor plus hardi.
Mais après quelque temps l’on quitta ce langage ;
L’onde reprit son lit et laissa sur la plage
Nos souverains à sec, devenus trop heureux
De retourner vite chez eux.
“Les Canards”