Jadis une chèvre et sa tante
Apprirent un matin la nouvelle étonnante
Que le roi du peuple animal
En son antre donnait un bal.
Pour les peindre d’un mot, elles étaient de celles
Que nous nommons enfants gâtés,
Dont les changeantes volontés
Commettent chaque jour cent sottises nouvelles.
Disant tantôt oui, tantôt non,
Nos deux coquettes indécises
Sur leur sortie et sur leurs mises,
Juraient qu’elles perdraient leur nom
Plutôt que de tirer les plus minces parures
Du fond de l’armoire aux guipures.
On se souciait bien du roi ; sa majesté
Valait-il un barbet crotté ?
Démentant toutes leurs paroles
Quelques instants après, ces folles
Prenaient leur éventail et couraient au miroir.
Quand on partit, la nuit régnait sur la nature
Couverte de sa robe obscure,
Au point qu’un ver luisant n’aurait pas pu s’y voir.
Il fallait passer la rivière
Sur un saule déraciné
Et sur l’autre rive incliné.
Or, ce voyage était périlleux sans lumière,
Et des flots furieux mugissaient sous le pont.
La tante passant la première
Gagne l’autre rive d’un bond,
Mais sous son pied fourchu rencontrant une pierre,
Trop attentive aux falbalas
Qui lui causaient mille embarras,
La nièce sur le tronc s’avançant la dernière
Tombe dans le fleuve en courroux :
Elle fut emportée ainsi qu’une verveine.
On raconte que son époux,
N’en prenant pas la moindre peine,
Un soir avoua franchement
Qu’il ne connaissait pas de plus affreux supplices
Que de vivre éternellement
Entre deux femmes à caprices.
Changer cent fois d’avis se voit communément.
Celui qui ne sait pas pour telle ou telle chose
Prendre son parti promptement
A mille événements s’expose.
“Les Capricieuses”