Entre nos frères les meuniers,
Et nos frères les charbonniers,
J’ai vu régner long-temps une haine assez forte.
A quel propos ? C’était… Que le diable m’emporte,
Si plus qu’eux mêmes je l’ai su !
Eh ! N’est-ce pas souvent pour un mal-entendu
Qu’un premier combat se donne ?
Le tort en est à tous, comme il n’est à personne,
Au second, ou l’on rend ce que l’on a reçu,
Ou l’on se bat du moins parce qu’on s’est battu.
Mais revenons au fait : ainsi qu’on peut-le croire,
Chaque héros dans sa valeur,
Se signalant pour sa couleur,
Criait haro sur l’autre, et tombait, dit l’histoire,
Charbonnier sur la blanche et meunier sur la noire.
Par la seule nature armés,
Les voyez-vous en cent manières
Les bras tendus, les poings fermés
Venger l’honneur de leurs bannières ?
Que de coups donnés et rendus !
Que de flots de sang répandus
Par tous ces nez cassés des mains de la victoire !
Chantre de Jeanne et de Bourbon,
C’est ta voix qui devrait transmettre la mémoire
De tous ces preux couverts de gloire et de charbon,
Couverts de farine et de gloire !
Certain jour cependant que ces poudreux guerriers
Se reposaient sur leurs lauriers,
Un philosophe, un philanthrope,
Un marguiller, mortel ennemi des combats,
Tenta de mette un terme à ces trop longs débats.
D’un manteau neutre il s’enveloppe ;
Et le-voilà, du matin jusqu’au soir,
De l’un à l’autre camp sans cesse en promenade ;
Qui va, vient et revient en courtier d’ambassade,
Du noir au blanc, du blanc au noir.
Or, à son drap qui n’est noir, ni blanc, mais pistache,
Tantôt le blanc, tantôt le noir laisse une tache.
Comme on en murmurait d’un et d’autre côté :
Charbonniers et meuniers, dit-il, parlons sans feinte :
Voit-on les deux partis, sans prendre un peu la teinte
Des gens à qui l’on s’est frotté ?
“Les Charbonniers, les Meuniers et le Marguiller”