Fables de l’Académie des jeux floraux
Sur les monts de Pyrène, ou des troupeaux nombreux.
Parmi les noirs sapins, les torrents écumeux ,
L’été, viennent fouler un riant pâturage,
Et de loin, éclairés d’un soleil radieux.
Brillent, aux verts gazons, comme l’étoile aux cieux;
Nés sous le même chaume, unis dès leur jeune âge,
Deux chiens puissants, l’effroi des loups,
Goûtaient de l’amitié les sentiments si doux
Ensemble ils reposaient au logis, sous l’ombrage ;
Ou bien,à la voix du berger.
D’un ennemi cruel ils affrontaient la rage,
Ensemble combattant, écartant le danger.
Mais la discorde éclate, et leur union cesse.
L’amour, qui perdit Troie et des coqs pleins d’ardeur
Se disputant une maîtresse,
Sans doute des deux chiens provoqua le malheur!
Non : un os qu’on jeta près de la bergerie,
Causant leur convoitise, excita leur furie ;
Et force coups de dents, lorsqu’ils se sont chargés,
Furent des deux côtés rudement échangés.
Pour un os?… Hais à l’homme en faut-il davantage?
Et, lier de son savoir, en est-il donc plus sage?
Depuis lors, irrité, l’amour-propre meurtri,
Le vaincu dans son frère abhorre un ennemi,
Et, de lui s’éloignant, sa superbe colère,
S’ils gardent le troupeau, veille au poste contraire.
Un jour, que le berger à leurs soins a commis
Ses agneaux bondissants et ses douces brebis ,
Trois loups, brigands affreux et que la faim tourmente,
Apparaissent soudain : leur attaque insolente
Glace d’effroi, fait fuir les brebis , leurs agneaux.
Le chien vainqueur s’élance et se bat en héros,
Et, comme l’aîné des Horaces,
Seul, résiste longtemps aux animaux voraces ;
Mais, loin de diviser les ardents assassins,
Il les sent, réunis, porter des coups certains,
Et sous leurs terribles morsures
Déjà coule son sang par de larges blessures…
Que vouliez-vous qu’il fît contre trois?… Qu’il mourut?
Non : son vieux camarade alors le secourut.
Voyant près de périr l’ami de son enfance,
Dans son cœur généreux expire sa vengeance;
Il accourt : sa valeur, ses efforts répétés ,
Comme un renfort puissant sauve à temps une place,
Dégageant le blessé, raniment son audace,
Rejettent dans leurs bois les loups épouvantés ;
Et nos chiens triomphants, pleins d’orgueil, d’allégresse ,
Retrouvent leur bonheur, retrouvant leur tendresse.
Des plus rares parfums qu’on vint lui confier
Ainsi qu’un pur cristal conserve l’excellence,
De tout bienfait reçu gardons la souvenance.
Quant aux torts d’un ami, je le veux publier,
Pardonnons-les : souvent, pour charmer l’existence.
L’art de vivre est l’art d’oublier.
“Les deux Chiens”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1807.