Alexis Rousset
Poète et fabuliste XVIIIº – Les deux hommes de lettres Chinois
Dans un livre chinois, j’ai trouvé cette histoire
Qui ressemble assez mal à nos mœurs.
Dieu merci ! Tout est bien différent ici.
Deux Savants de la Chine, aspirant à la gloire,
S’y prenait tout différemment Pour l’obtenir.
L’un d’eux travaillait comme un nègre,
Se faisait imprimer, produisait constamment ;
Il voulait élever son petit monument.
Mais, piochant sans relâche, il était pâle et maigre.
Pauvre homme ! je le plains. L’autre vivait au mieux.
Quoique savant fort sérieux.
Il parlait de littérature
Avec esprit, goût et mesure,
Mais lisait peu, n’écrivait point,
Et se trouvait muni d’un charmant embonpoint.
On disait du premier : — L’ennuyeux personnage !
Toujours produire, est-ce bien sage ?
Les livres manquent-ils ? J’en possède à foison.
Que ne se borne-t-il aux soins de sa maison !
Vraiment, je tremble pour sa tête. —
Prenant la forme pour le fond,
Comme il paraissait simple, on l’appelait la bête,
Et pourtant son esprit était vif et profond.
Il visait à l’Académie ;
Y briller eût été le bonheur de sa vie.
Un immortel mourut. Notre homme se morfond :
Il assiège en détail la docte Compagnie,
Hélas ! pour n’obtenir que refus sur refus.
Mais l’autre fut nommé sans effort, et de plus
Décoré du cordon qu’on accorde au génie.
Dans cet heureux pays. L’écrivain éconduit
Alla trouver l’autre et lui dit :
— Je ne suis point jaloux ; croyez-le bien ; non, j’aime
A voir récompenser le bon goût et l’esprit,
Mais vous voilà pourvu du grand cordon, et, même
Sans avoir rien écrit, académicien.
Pour si bien réussir, quel est votre moyen ?
Que faites-vous ? parlez.
Ma surprise est extrême. —
— Ce que je fais ? Je ne fais rien. —
Alexis Rousset , L’Amour qui se déguise