A MONSIEUR MEDERIC CHAROT.
Loin des bruits de la foule obscure
Qui mange, et rumine, et triture,
Et digère en paix sa pâture,
Trois Hérons passaient d’un vol fier
A travers les plaines de l’air.
Amants de la belle nature,
Ils s’en allaient à l’aventure
Par delà les monts et les vaux,
Le bec en l’air, battant des ailes,
En quête de plages nouvelles,
En quête d’horizons nouveaux :
Au reste, quant à la pitance,
Se fiant à la providence
Du Dieu qui nourrit les oiseaux.
Or, jugez si le voisinage
Fit grand haro sur leur passage !
Un imposant aréopage
Dans la basse-cour s’assembla ;
Un Dindon, grave personnage,
Pendant une heure au moins parla
Du fol esprit de ces gens-là :
« Pauvres sots, coureurs de chimères,
Qui s’en vont des célestes sphères
Pénétrer les secrets mystères,
Toujours plus haut, toujours plus loin !
Ah! qu’il vaut mieux, Dindons, mes frères,
Dans ce paisible petit coin,
Sans éclat comme sans envie,
Couler doucement notre vie,
Livrés le soir et le matin
Aux voluptés du picotin ! »
Ainsi dit-il, et l’assemblée
Applaudit à son oraison :
La Cane en fut émerveillée ;
Dans son transport, un jeune Oison
S’écria : « Vous avez raison ! »
Bref, au nom de la gent ailée,
La Cour le proclama vengeur
De la morale violée,
Et fut une loi formulée
Contre le trio voyageur.
Cris impuissants ! fureur stérile !
Tandis que la foule imbécile
Les raille et les insulte encor,
Des trois Hérons la troupe altière
Au beau pays de la lumière
Tranquillement prend son essor !
Dans la voie où Dieu vous engage,
O poètes, marchez toujours !
Que vous font la haine et l’outrage
De ceux qui n’ont d’autres amours
Que le fumier des basses-cours ?
Quoi ! sous les coups de la sottise
Serait brisé votre luth d’or !
Excelsior ! Excelsior !
N’oubliez pas cette devise…
Toujours plus haut ! plus haut encor !
Excelsior ! Excelsior !
“Les Hérons et les Oiseaux de basse-cour”