Charles Porphyre Alexandre Desains
Un vieux châtelain d’autrefois
Passait tout son temps à la chasse ;
ll n’était au pays ni Lapin, ni Bécasse,
Ni Faisan, ni Chevreuil, qu’il ne mît aux abois ;
Aussi de ses vassaux foulant aux pieds les droits,
Ils s’inquiétait peu de ravager leurs terres,
Comme les ravageaient auparavant ses pères.
Ce petit peuple, enfin, fatigué d’un labeur
Supporté pour des chiens et pour sa seigneurie,
En prononçant les mots de Lois et de Patrie,
Attaque le tyran, le chasse avec fureur,
Et se fait à son tour seigneur.
Le gibier, qui cessait de devenir la proie
Du noble braconnier, par des signes de joie
Exprimait son bonheur ; on remarquait surtout
Les Lapins, des terriers abandonnant la voie.
Nous sommes, disaient-ils, enfin venus à bout
De bannir ce veneur et toute sa séquelle.
Délivrés à toujours de la meute cruelle,
Des gardes-chasse, des furets,
Nous pouvons vivre en ces forêts
Sans redouter qu’un jour nos toisons soient vendues
A ces vils brocanteurs qui braillent dans les rues.
Nous n’allons plus mourir qu’abattus par le temps,
Sous lequel tout mortel s’incline,
Et ce n’est plus pour la cuisine
Qu’on élèvera des enfants.
A bas le grand seigneur ! Vivent les paysans !
Puis ils sont accostés par un de leurs confrères.
C’était un vieux Lapin, fort habile en affaires,
Et qui, sous tout gouvernement nouveau,
Avait eu le talent de conserver sa peau.
Que faites-vous ? dit-il, pourquoi ces airs de fête ?
N’aimez-vous plus la vie ? ou perdez-vous la tête ?
Le Lapin n’est-il plus un manger délicat ?
Vous ne sentez donc point la poudre du combat
Dont l’approche est si menaçante ?
Un ennemi s’éloigne, un autre se présente ;
Car si les hommes sont égaux,
C’est par leur goût des bons morceaux.
Dans vos trous, croyez-moi, reprenez votre place,
Et quittez vos illusions.
Quand on est, comme nous, sans force et sans audace,
On n’a rien à gagner aux révolutions.
Fuyez….. A peine il dit ces prudentes paroles,
S’éloignant des Lapins frivoles,
Qu’on entend accourir le peuple tout entier,
Tournant sur l’innocent gibier
Le fusil qu’il tourna contre la tyrannie.
La plupart des Lapins y perdirent la vie.
Ainsi de tout gouvernement
L’on aime assez le changement,
Chez les Lapins et chez les hommes.
En arborant d’autres couleurs
Nous croyons chaque fois à des destins meilleurs,
Et, pauvre gibier que nous sommes,
Nous ne faisons que changer de chasseurs.
Charles Porphyre Alexandre Desains, (1789- 1862)