Louis-François Jauffret
Littérateur, fabuliste XVIIIº – Les Oiseaux et la clochette
Nature est une bonne mère.
Avant qu’un fruit mûrisse , et nous soit salutaire ,
Le vert est sa couleur. Croissant à notre insu ,
Au milieu du feuillage , il est inaperçu ;
Il n’a qu’une saveur amère.
Mûrit-il , aussitôt nature prend le soin
De nous en avertir. Sa bonté le colore ,
Le rougit, l’empourpre , ou le dore ,
Pour le faire voir de plus loin.
Par malheur, ce signal que la nature donne
N’est pas pour l’homme seul. Les Oiseaux ont des yeux,
Et les fruits de l’été , comme ceux de l’automne,
Leur paraissent délicieux.
Mathurin maudissait leurs fréquentes visites.
Dès que son cerisier vit rougir ses rameaux ,
Il attira de loin un million d’Oiseaux ;
Et comment écarter ces fâcheux parasites ?
Notre jardinier veut les chasser par le bruit,
Et, montant sur l’arbre , en cachette ,
Dans l’obscurité de la nuit,
Au plus haut des rameaux suspend une Clochette.
A la pointe du jour un zéphyr l’agita ,
Et voilà que l’airain tinta.
Les Oiseaux de bonne heure au verger se rendirent.
Clochette de tinter : sitôt qu’ils l’entendirent,
Toute la troupe déserta.
Ils disaient, en fuyant : d’où naît un tel vacarme ?
A l’heure où Mathurin est encore endormi,
Un inconnu, sans doute , un nouvel ennemi,
Dans le verger sonne l’alarme.
Pourquoi , cria l’un d’eux , montrer si peu de cœur ?
Prenons l’attitude guerrière ;
Affrontons un péril peut-être imaginaire.
Le bruit doit-il nous faire peur ?
Volons en bataillon , à l’exemple des grues
Qui voyagent au sein des nues ;
A son tour , l’ennemi connaîtra la terreur.
On voulut le tenter : vain espoir ! la Clochette,
En redoublant son carillon ,
Épouvanta le bataillon ,
Qui, de fort loin , fit sa retraite.
L’arbre fut respecté. Cependant, un matin ,
Au pauvre cerisier le vent livra la guerre.
La Clochette sonnait plus fort qu’à l’ordinaire,
Secouant le rameau si rudement qu’enfin,
Surchargé du poids de l’airain,
Il se brise , et voilà le carillon par terre.
Hélas ! il ne disait plus mot
Les Oiseaux rassurés reviennent aussitôt :
Ils considèrent la Clochette.
Comment ! lui disent-ils, c’est toi qui nous fis peur
Ah ! Clochette, pour ton honneur ,
Il ne fallait pas choir , et devenir muette.
Dans un poste élevé , tel sot , autour de soi,
Intimide les gens, on ne sait trop pourquoi ;
Mais , sitôt qu’il fait la culbute,
Sitôt qu’il est privé d’appui,
Au seul mépris il est en butte :
On le craignait hier, on le raille aujourd’hui ;
Il n’est plus rien après sa chute.
Louis-François Jauffret