L’horizon était pur, la rive était tranquille,
Et dans son lit profond l’eau dormait immobile.
Le soleil au déclin illuminait les monts
Des mourantes beautés de ses derniers rayons,
Et semblait se pencher vers l’onde du rivage
Comme pour embrasser sa radieuse image.
Deux enfants jouant sur la plage
Regardaient glisser un bateau
Qui rasait la face de l’eau,
Et sur le front du lac en sa course rapide
Traçait une légère ride.
Le plus jeune dit à l’ainé ouvrant un œil étonné,
Pur et bleu comme l’onde et comme elle limpide :
« Mon frère, vois ces matelots
Qui rament en tournant le dos
Au but même de leur voyage :
Pourquoi donc mènent-ils leur barque en reculant ?
— Cher petit, répondit le frère en souriant.
S’ils tournent le dos au rivage
C’est pour l’atteindre sûrement.
Tu comprendras cela quand tu seras plus grand,
Et tu verras souvent, dans le cours de ton âge,
De ces gens vaniteux, humbles dans leurs propos,
Ingénieux dans leur sottise,
Qui disent du mal d’eux pour qu’on les contredise,
Et, comme ces rameurs manœuvrant sur les flots,
Vont droit à la louange en lui tournant le dos. »
“Les Rameurs et les Enfants”