Il ne faut jamais dire aux gens :
Ecoutez un bon mot, oyez une merveille.
Savez-vous si les écoutants
En feront une estime à la vôtre pareille ?
Voici pourtant un cas qui peut être excepté :
Je le maintiens prodige, et tel que d’une fable
Il a l’air et les traits, encor que véritable.
On abattit un pin pour son antiquité,
Vieux Palais d’un hibou, triste et sombre retraite
De l’oiseau qu’Atropos prend pour son interprète.
Dans son tronc caverneux, et miné par le temps,
Logeaient, entre autres habitants,
Force Souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L’Oiseau les nourrissait parmi des tas de blé,
Et de son bec avait leur troupeau mutilé ;
Cet Oiseau raisonnait, il faut qu’on le confesse.
En son temps aux Souris le compagnon chassa.
Les premières qu’il prit du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia
Tout ce qu’il prit ensuite. Et leurs jambes coupées
Firent qu’il les mangeait à sa commodité,
Aujourd’hui l’une, et demain l’autre.
Tout manger à la fois, l’impossibilité
S’y trouvait, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance allait aussi loin que la nôtre :
Elle allait jusqu’à leur porter
Vivres et grains pour subsister.
Puis, qu’un Cartésien s’obstine
A traiter ce Hibou de montre et de machine !
Quel ressort lui pouvait donner
Le conseil de tronquer un peuple mis en mue ?
Si ce n’est pas là raisonner,
La raison m’est chose inconnue.
Voyez que d’arguments il fit :
Quand ce peuple est pris, il s’enduit :
Donc il faut le croquer aussitôt qu’on le happe.
Tout : il est impossible. Et puis, pour le besoin
N’en dois-je pas garder ? Donc il faut avoir soin
De le nourrir sans qu’il échappe.
Mais comment ? Otons-lui les pieds. Or, trouvez-moi
Chose par les humains à sa fin mieux conduite.
Quel autre art de penser Aristote et sa suite
Enseignent-ils, par votre foi ?
Commentaires et analyses par Chamfort . 1796.
V. 1. Il ne faut jamais dire aux gens :
Il s’en faut bien que cet Apologue-ci approche du précédent. Ce n’est que le récit d’un fait singulier qui prouve l’intelligence des animaux. Aussi, La Fontaine cesse-t-il d’être cartésien, eu dépit de madame de la Sablière.
V. 34. Voyez que d’arguments il lit !
La Fontaine , malgré la contrainte de la versification, développe la suite du raisonnement qu’a dû faire le hibou, avec autant d’exactitude et de précision que le ferait un philosophe écrivant en prose.
V. 42. Quel autre art de penser Aristote et sa suite…
M. Coste aurait dû nous dire simplement, dans sa note, qu’Aristote avait fait un livre intitulé : la Logique, et MM. de Port-Royal un ouvrage qui a pour titre : l’Art de penser. C’est à ce livre que La Fontaine fait allusion. Épilogue.
Derniers vers. … Ce sont là des sujets , Vainqueurs du Temps et de la Parque.
Les fables de La Fontaine seront bien aussi victorieuses du temps, et ne dureront pas moins que les plus beaux monuments consacrés à la gloire de Louis XIV. Molière au moins le pensait, quand il disait de La Fontaine à Boileau: « le bonhomme ira plus loin que nous tous ». On aurait bien dû nous apprendre la réponse du satirique. “”Les Souris et le Chat-Huant””