Eugène Mazelle
Homme de lettres et fabuliste XIXº – Les trois Couleurs
Sur l’étendard au haut d’un mât planté.
Les Couleurs de la Liberté
Disputaient de la préséance :
— « Sur vous deux surement j’ai la prééminence,
S’écriait l’Indigo d’un ton d’autorité ;
Je tiens le premier rang, car j’adhère à la lance…«
L’Azur fut la couleur toujours par excellence !
— Pardon, repart le Blanc avec un peu d’humeur,
J’occupe le milieu, c’est la place d’honneur ;
Je ne le cède en rien au Bleu, je m’imagine ;
Et s’il fallait ici rechercher l’origine,
Je vous montrerais bien quelle est ma qualité !
Plus haute que la vôtre est mon antiquité.
— Bon Dieu ! quels arguments ! interrompt l’Écarlate;
S’agit-il bien ici d’origine ou de date ?
Nos seuls titres sont nos hauts faits :
Des miens on connait les effets !
J’ai servi d’étendard au grand flot populaire
Qui détrôna l’abus et vainquit l’arbitraire ;
J’ai refait le passé…., j’ai pour moi l’avenir,
Tandis que toutes deux commencez à ternir !
Vous vous targuez du rang ! Vous n’y voyez donc guère
C’est moi qui dans les airs flotte ici la première,
Et le Rouge à bon droit à ce bout fut placé :
Sa place est au poste avancé !
— Vraiment, vous vous vantez d’une façon bien franche
Dit le Blanc ; vous parlez de hauts faits ? Quelle horreur !
Vous rappelez aux yeux la sanglante Terreur.
— En vous l’on voit la Terreur blanche !
Repart le Rouge. — A son tour l’Indigo :
Mon voisin a raison, vous fûtes son bourreau ;
Honte, anathème à l’Écarlate !
— L’injure te sied mal, nuance aristocrate,
Pâle Azur du blason terni des ci-devant !
Dit le Rouge en fureur : quoi !… » — Mais un coup de vent,
Arrachant du grand mât la flottante bannière,
Emporte des lambeaux roulants dans la poussière,
Et finit ces tristes débats…..
Ce fut fort à propos… : qui ne gémirait pas
D’entendre pareille dispute ?
Que depuis cinquante ans des frères divisés,
Enfants du même sol, mais de camps opposés,
Entretiennent entre eux une incessante lutte !….
C’est pitié!…. chacun court vers une même chute !
Eugène Mazelle