Raymond de Belfeuil
L’esprit et le bon sens, l’un jeune, l’autre vieux,
Un jour, se mirent en ménage.
Le bon sens était beau, conservé pour son âge ;
L’esprit était poli, vif, affairé, joyeux.
Qui n’eût pensé, dès lors, qu’ils pourraient être heureux ?
Au bout d’un mois de mariage,
Déjà la guerre était entre eux.
Le bon sens, toujours grave et sage,
De sa compagne excusait les écarts,
Bien qu’il redoutât les hasards
D’une union aussi mal assortie.
Afin de ramener son cœur,
Il lui parlait avec douceur
De la vertu, ce parfum de la vie.
La volage écoutait
Tous ces discours d’un air distrait,
Comme ces vieux récits dont la fadeur ennuie.
Mais, hélas ! tout fut vain :
L’esprit fit la folie
De s’en aller, un beau matin.
Il ne porta pas loin sa noire perfidie :
Surpris par des voleurs, il périt en chemin.
J’ai remarqué que, dans la vie,
Rarement
On allie
Avec beaucoup d’esprit beaucoup de jugement ;
L’orgueil ne veut jamais d’avis qui l’humilie ;
Mais en marchant tout seul il fait mainte folie,
Et rien ne le guérit de son aveuglement.
A tout âge il nous faut un guide charitable,
Enseignant le devoir sous une forme aimable,
Signalant les écueils qui naissent sous nos pas,
Et que sans ses conseils nous n’éviterions pas.
“L’Esprit et le Bon sens”
Raymond Belfeuil – Paris 1869.